Camp de Dagahealey, Kenya, Septembre 2019, MSF

Au vu du nombre croissant de personnes déplacées dans le monde, la communauté internationale à repensé son approche des déplacements et des migrations. C’est dans cet esprit que la Déclaration de New York, le Pacte mondial sur les réfugiés (GCR) et le Pacte mondial pour les migrations (GCM) ont vu le jour entre 2016 et 2018, sous les auspices des États membres des Nations unies (EM), de l’agence des nations Unies pour les réfugiés (HCR) et de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM).

Le GRC a pour principaux objectifs d’alléger la pression sur les pays d’accueil, de renforcer l’autonomie et l’inclusion des personnes réfugiées et déplacées, d’élargir l’accès aux solutions des pays tiers, de soutenir les conditions dans les pays d’origine pour un retour digne en toute sécurité et de protéger les droits des personnes déplacées.

Cette nouvelle approche est censée inverser la manière avec laquelle la communauté internationale répond aux déplacements, conformément au concept de « nexus » ou « lien » qui est né au Sommet humanitaire mondial de mai 2016. Ce dernier promeut une complémentarité plus forte entre les domaines de l’humanitaire, du développement et de la consolidation de la paix tout en adoptant une « approche prenant en compte la société dans son ensemble ».

Toutefois, la nature non contraignante de ces instruments ainsi que les défis du multilatéralisme et des réalités géopolitiques d’aujourd’hui rendent la mise en œuvre de ces engagements particulièrement difficile.

Comment, dans un tel environnement, mobiliser les États membres pour traduire ce paradigme en faits concrets?

La stratégie globale (en particulier celle du HCR) a été de créer une dynamique au sein de la communauté des EM qui devait encourager et promouvoir un changement de comportement collectif, principalement :

  1. en reconnaissant les efforts des pays considérés comme exemplaires dans l’approche du déplacement (par exemple, l’Éthiopie, l’Ouganda, le Costa Rica, etc.) ;
  2. en mettant en avant les États membres influents (par exemple, l’Allemagne) et les organisations internationales (telles que l’IGAD) qui peuvent défendre un tel paradigme ;
  3. en impliquant les principales institutions financières et de développement, telles que la Banque mondiale, et les grandes entreprises privées, qui sont à même de promouvoir les avantages économiques et financiers d’une telle approche ;
  4. en encourageant les États membres à participer à des forums ouverts (par exemple, le Forum mondial sur les réfugiés).

 

Une telle stratégie vise à créer une nouvelle “norme sociale et comportementale” parmi la communauté des États membres, quant à leur approche de la crise du déplacement, qui s’inspire d’une lecture constructiviste des relations internationales. Afin de favoriser ce changement et d’en assurer la durabilité, un point de basculement, tant en ce qui concerne le nombre d’États que le profil des États qui promeuvent et mettent en œuvre cette approche est à atteindre. Cela mènerait alors la majorité des États à suivre ce paradigme par un “processus de socialisation”.

De dynamiques spécifiques en Afrique de l’Est sont porteuses d’espoir en ce qui concerne le déclenchement d’un tel changement de comportement. L’Éthiopie, l’Ouganda et des organisations internationales telles que l’IGAD et la Banque mondiale défendent le GCR dans la région et encouragent d’autres pays comme le Kenya (en particulier dans le camp de Kakuma) ou la Zambie à suivre des voies similaires.

Toutefois, deux éléments principaux constituent des obstacles majeurs au développement de cette nouvelle norme sociale dans le monde :

  1. Le manque de crédibilité (et de volonté) des États influents en ce qui concerne leur approche fructueuse du déplacement : La plupart des États membres européens, les États-Unis, la Russie, la Chine, certains pays BRIC mettent à peine en œuvre de telles approches dans leur propre pays, ce qui a un impact sur leur légitimité aux yeux des autres et limite la traction nécessaire pour déclencher un changement collectif de comportement.
  2. La lutte contre les programmes sécuritaires et politiques respectifs des États membres, dans un environnement mondial agressif et protectionniste contre les personnes réfugiées et migrantes. Si un lien clair a été établi avec les progrès du développement, il manque encore un récit cohérent pour aborder les préoccupations sécuritaires et politiques des États membres. Les personnes déplacées sont souvent utilisées comme une “carte” à utiliser dans le cadre d’un jeu politique plus large. Cela rend des situations comme celle du camp de Dadaab au Kenya ou d’autres en Europe (pour n’en citer que quelques-unes) extrêmement difficiles à résoudre.

Malheureusement, alors que la pandémie COVID-19 se transforme en une “crise humaine et sociétale”, la voie vers un nouveau paradigme en matière de déplacement semble encore plus lointaine, car certains États membres ont profité des mesures de santé publique pour restreindre davantage les droits des réfugiés et des migrants.

Comme l’a mentionné Filippo Grandi, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés devant le Conseil de sécurité de l’ONU le 18 juin 2020 : “Ces tendances montrent en quelque sorte comment, lorsque le leadership échoue, lorsque le multilatéralisme – que vous représentez – ne tient pas ses promesses, les conséquences se manifestent non pas dans les capitales mondiales de notre monde, ni dans les foyers des puissants et des riches. Elles se font ressentir à la périphérie des nations, dans les communautés frontalières, parmi les pauvres des villes, dans la vie de ceux qui n’ont pas de pouvoir”.