Malgré les espoirs suscités après l'indépendance, le Soudan du Sud est actuellement un pays en chute libre. Construction à Wanyjok, Aweil East. Martina Santschi / swisspeace

Les nouvelles en provenance de la Corne de l’Afrique ne laissent actuellement guère place à l’espoir : elles évoquent la famine due à la guerre et la sécheresse, les conflits armés entre gouvernements et groupes de rebelles, les attaques des milices extrémistes, le désastre économique ainsi que la situation de crise, exceptionnelle, et les émeutes violentes entre forces de l’ordre et manifestants. Cette liste, loin de s’arrêter là, est toujours la même depuis déjà un bon nombre d’années, à quelques différences près.

À l’heure actuelle, il ne se passe quasiment pas un jour sans que la Corne de l’Afrique ne fasse les gros titres de la presse. L’ONU a déclaré officiellement l’état de famine dans certaines régions de la Somalie et du Soudan du Sud, et beaucoup de pays de la région sont à nouveau le théâtre d’affrontements violents. Si les famines sont ordinairement le fruit de catastrophes naturelles, le rapport mondial sur les crises alimentaires 2017 conclut clairement que les conflits armés sont à l’origine de neuf crises humanitaires sur dix parmi les plus sévères, et met ainsi en exergue l’étroite corrélation qu’il existe entre paix et sécurité alimentaire. L’exemple du Soudan du Sud illustre pleinement ce phénomène.

Près de six ans après son accès à l’indépendance, le Soudan du Sud est un pays en chute libre, que ce soit sur le plan économique ou politique. Même si l’euphorie était grande en juillet 2011, un conflit armé a éclaté à peine deux ans plus tard. L’accord de paix signé en août 2015 sous l’égide de l’Autorité intergouvernementale sur le développement (IGAD) n’a toujours pas réussi à instaurer une paix durable. Les combats qui ont repris à Juba, la capitale, en juillet 2016, ont fait apparaître une profonde crise politique et l’absence de volonté de traduire l’accord de paix en actes. Si les armes se sont tues à Juba à l’issue de ces violents affrontements, des combats entre l’armée et les groupes armés se sont poursuivis en maints endroits dans le reste du pays, s’accompagnant souvent d’atrocités contre la population civile.

Le 14 décembre 2016, le président Salva Kiir a prononcé un discours appelant à un grand dialogue national entre toutes les parties pour ramener la paix, la stabilité et la prospérité. Si le gouvernement a toujours affirmé que cette initiative s’inscrivait dans la logique de l’accord de paix, les défaillances entourant la mise en œuvre de ce dernier et la poursuite des conflits armés décrédibilisent ce dialogue aux yeux de la majorité des acteurs internationaux. Ils soupçonnent le gouvernement de vouloir surtout gagner du temps, occulter la non-réalisation de l’accord de paix et drainer des fonds en provenance de l’étranger.

Dans de nombreuses zones du Soudan du Sud, les civils fuient devant les différents fronts, à la recherche de conditions de vie plus humaines. Le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés estime à 1,9 million le nombre de déplacés au Soudan du Sud et à 1,59 million celui des réfugiés dans les États voisins (chiffres avril 2017). La plupart du temps, les personnes déplacées n’ont pas la possibilité de cultiver un champ pour subvenir à leurs besoins. De plus, il est souvent trop dangereux de recevoir l’aide alimentaire de l’extérieur, voire tout simplement impossible pour les personnes qui doivent se cacher. La baisse de l’activité agricole, la perte de récoltes à grande échelle, ainsi que les combats armés et les attaques dont font régulièrement l’objet les voies de transport ont, de surcroît, réduit à néant ou presque l’approvisionnement de certaines zones, pourtant crucial, et le prix des denrées alimentaires a explosé.

Les répercussions sur les États de la région varient et ces derniers réagissent de façon contrastée, en fonction des relations passées et de leur intérêt du moment. Tous sont très proches historiquement, économiquement, politiquement et culturellement. Même si la diversité linguistique et ethnique reste grande dans et en dehors des frontières, les liens supranationaux, le commerce et les interdépendances politiques ont façonné la région. Au nom de leur intérêt, des États comme le Soudan, le Soudan du Sud, l’Éthiopie et l’Ouganda ont soutenu pendant des années des groupes rebelles et des mouvements d’opposition chez leurs voisins. Les pays limitrophes ont donc considérablement contribué à l’escalade des conflits et profité de l’instabilité qui en résultait. À long terme, le prix à payer est cependant très lourd, comme le montre l’exemple du Soudan du Sud : des afflux massifs de réfugiés – le nombre de réfugiés sud-soudanais atteint presque 800 000 personnes seulement en Ouganda – et les retombées économiques négatives frappent de plein fouet les pays voisins. Il n’est donc pas vraiment surprenant que la stabilité de la région, nécessaire aux intérêts économiques de tous, soit devenue la priorité, avec le non-débordement des conflits sur son propre territoire. Au cours des mois précédents, il a été observé pour la première fois depuis longtemps un rapprochement entre le Soudan du Sud et le Soudan, ainsi qu’entre l’Ouganda et le Soudan, deux ennemis de longue date. Ces nouvelles – réjouissantes pour une fois – pourraient être porteuses d’espoir : celui que la région peut se concevoir comme un tout et tient entre ses mains les clés de la paix future.

Il n’en demeure pas moins un grand nombre d’obstacles au Soudan du Sud. Les affrontements violents et les souffrances de la population civile ne semblent pas devoir s’arrêter même si les parties finissent toujours par conclure des trêves à intervalles plus ou moins longs. Les organisations travaillant dans le secteur de l’extraction pétrolière ou l’aide au développement sont encore et encore attaquées, et leur personnel enlevé. Le manque de cohésion au sein des groupes armés ainsi que les divergences perceptibles entre dirigeants politiques et militaires entravent considérablement le cheminement vers une entente pacifique. L’indépendance des moyens de subsistance et la réhabilitation sociale de générations entières au Soudan du Sud à long terme requièrent un soutien régional et international, mais elles passent avant tout par la paix des armes.