Chimoio, Mozambique 2020. terre des hommes suisse soutient 6 organisations mozambicaines offrant une perspective aux jeunes à travers l'éducation, la formation à l'agriculture biologique et la sensibilisation aux violences sexistes telles que les mariages et grossesses précoces. Jonas Wagner-Mörsdorf / terre des hommes suisse

Palma est une petite ville de 75 000 habitant·e·s au nord du Mozambique. Elle ne se situe qu’à 25 kilomètres de la frontière tanzanienne et la pêche locale assure la subsistance de la population. Il s’agit donc d’une petite localité, qui n’a encore jamais été évoquée dans les médias internationaux. Cependant, l’après-midi du 24 mars 2021, cette prétendue tranquillité a pris fin et Palma illustre le triste aboutissement de ce qui se passe dans le nord du Mozambique depuis environ trois ans. Cet après-midi-là, un groupe armé associé à l’État islamique a envahi les lieux, puis abattu et décapité au moins 90 personnes au cours des jours suivants. Les reportages, les photos et les vidéos de Palma sont épouvantables. «Nous avons vu un garçon de 14 ans partir pour sa première mission. Il racontait, tout heureux, comment il avait tué des gens» confie une femme. Elle fait partie des 23 femmes retenues en captivité par les groupes rebelles (connus localement sous le nom de «machababos») qui ont réussi à s’échapper. Son témoignage permet de mieux connaître le groupe d’assaillant·e·s qui terrifie la province de Cabo Delgado depuis trois ans.

Cabo Delgado est la province la plus septentrionale du Mozambique et se trouve à 1500 km de la capitale Maputo, située à l’extrême sud du pays. Pendant des années, les territoires les plus au nord n’ont guère intéressé le gouvernement mozambicain. La région affiche un taux d’analphabétisme de 67% et connaît un taux de chômage élevé chez les jeunes qui, associé à un manque de perspectives, facilite leur recrutement par les islamistes. Le mécontentement de la population à l’égard du gouvernement de Maputo est alimenté par le fait que le présumé boom lié aux immenses réserves de gaz découvertes au large des côtes de la région – les plus grandes d’Afrique – profite principalement à des entreprises étrangères, telles que le groupe français Total et au parti au pouvoir, le Frelimo, sans réellement créer d’emplois pour les jeunes de la région. La réaction du gouvernement face aux années d’attaques à Cabo Delgado est également relativement claire: on promet une protection aux compagnies gazières et on tente de maîtriser le conflit avec des groupes de mercenaires, tels que le célèbre groupe russe Wagner ou, plus récemment, le groupe sud-africain Dyck Advisory. La population a tendance à être la grande oubliée des débats à ce sujet. Le parti au pouvoir, le Frelimo, considère la guerre civile de Cabo Delgado comme une menace pour son «modèle économique» basé sur les activités minières. Cela explique également pourquoi le gouvernement qualifie les assaillant·e·s de membres étrangers de l’EI, avec lesquels il serait impossible de négocier. Des journalistes indépendant·e·s sont expulsé.e.s, comme ce fut le cas récemment du journaliste britannique Tom Bowker, qui était l’un des rares à rendre compte de la complexité de la situation et à dénoncer les échecs du gouvernement. Ces dernières années, il est également devenu difficile pour les journalistes du pays de couvrir la situation de Cabo Delgado. Les organisations humanitaires ne se voient plus accorder de visas et la mission d’observation de l’UE a également été retardée par le gouvernement. Les aides étrangères sont les bienvenues, mais uniquement sous forme financière; la présence d’observateur·trices indépendant·e·s ou de troupes étrangères qui pourraient mettre en évidence les défaillances du régime n’est pas souhaitée. Le peuple mozambicain se montre perplexe devant la lenteur avec laquelle le président Filipe Nyusi, lui-même né à Cabo Delgado, s’exprime au sujet des attentats.

Les récentes attaques brutales de Palma ont prouvé que la voie suivie jusqu’à présent ne peut continuer ainsi. Depuis le début du conflit en octobre 2017, et jusqu’à la fin du mois de mai 2021, près de 900 attentats ont été perpétrés, faisant 2852 victimes. Le pays compte plus de 714 000 déplacé·e·s internes. Depuis l’année dernière, et également lors de l’attaque de Palma, le groupe connu sous le nom d’EI a revendiqué l’attentat, mais les photos et vidéos utilisées comme preuves étaient manifestement plus anciennes. Les entretiens avec les femmes en fuite démontrent clairement que, contrairement à ce que prétend le gouvernement, il ne s’agit pas d’étrangers, mais de jeunes hommes de la région, moins motivés par l’islamisme que par la frustration à l’égard du gouvernement et l’appât du gain. Seuls les chefs de la milice terroriste semblent être pour la plupart des hommes étrangers bien éduqués, principalement originaires de Tanzanie. Ils appartiennent à la milice somalienne initialement connue sous le nom d’Al-Chabab. Le groupuscule capitalise sur la colère de la jeunesse délaissée de Cabo Delgado en suscitant un ressentiment à l’égard du «gouvernement infidèle de Maputo» et des compagnies de gaz étrangères «qui les pillent».

Le manque de perspectives et le sentiment d’oubli qui affectent les jeunes de Cabo Delgado sont des éléments importants à prendre en compte dans la résolution durable du conflit. Pour Paula Macave, coordinatrice nationale de terre des hommes suisse au Mozambique, le chômage des jeunes est le principal problème. C’est pourquoi des projets menés sur place visent à les aider à se construire un futur économique grâce à l’agriculture écologique ou l’éducation. En outre, l’organisation promeut la sensibilisation en matière de santé sexuelle, car les mariages précoces et les grossesses chez les adolescentes constituent une difficulté majeure, notamment dans les zones rurales du Mozambique. Par ailleurs, le conflit semble évoluer: le Portugal va envoyer des troupes, et les États-Unis et la France ont également promis leur soutien. Paula Macave affirme que la pression exercée par l’Union africaine sur le gouvernement mozambicain pour qu’il autorise enfin un soutien extérieur pourrait être utile. L’Église catholique aborde ouvertement les causes profondes du conflit et critique le gouvernement: «L’Église souhaite que les jeunes aient une vie différente de celle qu’ils mènent actuellement. C’est pourquoi nous encourageons les gens, en particulier les jeunes, à cultiver leurs espoirs et leurs rêves et à travailler pour les réaliser».

Notre conclusion est donc relativement limpide: il n’y aura de solution pacifique à long terme que si l’aide extérieure est autorisée, si les journalistes indépendant·e·s peuvent à nouveau couvrir la situation à Cabo Delgado et si le gouvernement prend au sérieux les besoins de la population. Car la paix ne sera possible que si les couches les plus pauvres de la population reçoivent également une part de l’exportation des énormes gisements de ressources et si les jeunes du pays se voient offrir de réelles perspectives. Avec ses partenaires, terre des hommes suisse y travaille chaque jour.