L'Industrie Forestière d'Ouesso (IFO), filiale du groupe Danzer, est active dans le bassin du Congo. swisspeace / Nadina Diday (2013)
swisspeace Michael Aeby michael.aeby@swisspeace.ch Research Assistant, Statehood / Business and Peace Sibel Gürler sibel.guerler@swisspeace.ch Head, Statehood / Business and Peace

Dans leur besoin de trouver de nouveaux gisements, les entreprises extractives sont souvent les premières à réaliser des investissements vitaux dans les pays qui sortent d’un conflit. La ruée sur les minerais ayant à plusieurs reprises alimenté des conflits armés, les débats sur les activités d’extraction dans les États fragiles ont longtemps considéré que les ressources étaient génératrices de conflit, une sorte « malédiction » enfermant les sociétés dans un cycle de violence et de pauvreté. Partant du postulat que le développement économique est nécessaire à une paix durable, les récentes discussions explorent plutôt les opportunités que peuvent constituer les industries extractives pour la promotion de la paix et la reconstruction. Si la responsabilité première de la promotion de la paix repose sur les gouvernements et la société civile, le secteur privé peut en effet contribuer de manière décisive à la consolidation de la paix.

La paix a besoin d’entreprises prospères comme la prospérité des entreprises nécessite un environnement pacifique ; les entreprises extractives ont donc tout à gagner à promouvoir la paix. Si les ressources inexploitées dans les anciennes zones de conflit leur offrent de nouvelles opportunités, l’activité minière demande des investissements colossaux, qui ne s’avèrent rentables que lorsque les opérations se déroulent sans entrave sur le long terme. Une reprise des hostilités peut entraîner de coûteuses perturbations de l’activité, menacer les bénéfices et rendre les investisseurs réticents si la situation reste instable. Autre risque capital : les dommages subis par la réputation des entreprises lorsque leurs activités fragilisent la paix. Nombre de sociétés minières, raffineries et centres de négoce des matières premières battant pavillon suisse, l’économie helvète a fortement intérêt à garantir que les industries extractives soient propices à la paix et à la stabilité.

Les industries extractives revêtent une importance stratégique en raison de leur capacité à freiner les moteurs de conflit, à transformer une économie de guerre en économie de paix, à stimuler la croissance, à attirer des investissements importants et à générer des revenus publics. Les opportunités économiques apportées par les industries extractives peuvent motiver les combattants à mettre fin aux affrontements et à soutenir la paix. Les industries extractives peuvent offrir les emplois, compétences et moyens de subsistance nécessaires au désarmement, à la démobilisation et à la réintégration des anciens combattants. D’autres emplois sont ensuite créés par le développement d’infrastructures liées à l’activité minière, par des industries auxiliaires et par des activités du secteur informel. En alimentant les caisses vides des États, les industries extractives peuvent soutenir financièrement la reconstruction post-conflit, les projets de promotion de la paix, et réduire la dépendance à l’aide au développement. En restaurant la confiance des investisseurs, elles peuvent également favoriser l’investissement dans d’autres secteurs et la diversification économique.

Étant donné leur puissance économique, les entreprises extractives peuvent soutenir les réformes législatives et politiques, instaurer de bonnes pratiques commerciales et des normes de gouvernance. Elles peuvent montrer l’exemple en condamnant la corruption, elle-même source de conflits. En conditionnant l’investissement au respect des bonnes pratiques, elles incitent le gouvernement à mettre en place des mécanismes pour réduire la corruption. Puisque l’activité des entreprises nécessite un environnement physique et légal dénué de risques, celles défendant les droits individuels peuvent appeler les autorités à faire respecter l’État de droit et à améliorer la sécurité.

Les entreprises extractives peuvent contribuer directement à la promotion de la paix en adoptant des politiques propices à la paix. L’embauche inclusive et les politiques de formation peuvent soutenir l’émancipation économique des groupes marginalisés et ainsi réduire les revendications économiques à l’origine des tensions. Faire travailler différents groupes ensemble dans une même entreprise peut améliorer la confiance et le dialogue, donner une vision alternative de la société et permettre d’avancer vers la réconciliation. Dans de rares cas, les entreprises facilitent directement le dialogue entre les parties au conflit. La distribution des revenus peut faire partie intégrante des traités de paix visant à garantir le partage des pouvoirs économiques. Le plus souvent, les entreprises accompagnent les processus de paix en soutenant la société civile ainsi que des programmes nationaux, dans le but d’apaiser les tensions.

La contribution réelle des entreprises extractives à la promotion de la paix dépend de divers facteurs propres au contexte, dont nombre échappent à leur contrôle. La capacité à exploiter les ressources pour établir la paix dépend du rôle des matières premières dans le conflit, de la volonté du gouvernement de gérer les ressources de manière efficace et de l’industrie concernée. Par exemple, empêcher le commerce illicite de diamants est plus difficile que gérer les recettes pétrolières. Vu que la principale contribution des industries extractives consiste à stimuler la croissance et que les transitions post-conflit dépendent de la rapidité des bénéfices engrangés pour que les parties au conflit maintiennent leur engagement, un environnement commercial favorable est crucial pour garantir la paix. De même, il est indispensable de s’attacher à concilier les impératifs commerciaux et les contraintes d’une société fragile. Les entreprises doivent comprendre le contexte sensible dans lequel elles se trouvent afin de ne causer aucun préjudice.

Des initiatives collectives contribuent à rendre les activités extractives favorables à la paix. Le Pacte mondial des Nations Unies, l’Initiative sur la transparence des industries extractives et le Processus de Kimberley ont établi des normes mondiales de bonnes pratiques et ont pour ambition d’enrayer le commerce illicite de minéraux provenant de zones de conflit. Ces politiques traitant de la responsabilité sociale qui incombe aux entreprises, sensibles aux conflits et spécifiques à chaque industrie fournissent aux entreprises des recommandations primordiales pour s’installer dans des contextes sensibles.

Si les entreprises compétitives doivent parvenir rapidement à des accords lucratifs, des contrats solides doivent pourtant être négociés avec les autorités légitimes. Les gouvernements intérimaires non élus ne devraient pas concéder de concessions minières sur plusieurs décennies et les contrats signés devraient maximiser les bénéfices retirés par la population. Il faut des systèmes rigoureux de gestion des ressources pour réguler la ruée vers celles-ci dans la période post-conflit. Des informations fiables sur les gisements et les flux de revenus sont nécessaires pour prévenir le détournement des bénéfices. La transparence en matière de gestion des ressources est fondamentale pour prévenir l’émergence de conflits et instaurer un climat propice aux investissements.

Faire en sorte que les revenus bénéficient à la population est une tâche exigeante et relève traditionnellement du gouvernement central. Il est peu probable que les industries extractives promeuvent la paix si elles ne facilitent pas le développement en aval, l’existence de moyens de subsistance durables et la diversification économique. Il est essentiel que les entreprises écoutent les revendications si elles veulent avoir un impact positif sur les relations communautaires. Elles peuvent d’ailleurs s’appuyer sur la société civile pour évaluer l’impact de leurs activités sur les communautés et chercher des alternatives pour les mineurs et agriculteurs déplacés.

En définitive, les entreprises extractives doivent faire face à leurs impératifs commerciaux et disposent donc de capacités limitées en termes de promotion de la paix. Celles promouvant les meilleures pratiques peuvent se voir désavantager et rencontrer des résistances de la part de ceux qui tirent profit du commerce illicite. Les entreprises qui prennent des risques en réalisant des investissements critiques dans des États fragiles peuvent se montrer réticentes si la promotion de la paix entraîne des coûts additionnels, des responsabilités et des risques pour leur réputation. Les gouvernements et les entreprises se partagent toutefois la responsabilité de garantir que les activités d’extraction sont propices à la paix. Si des entreprises traitent leur responsabilité sociale comme des paroles en l’air, exportent leurs revenus sans garantir le développement durable, choisissent d’ignorer les répercussions sociales et environnementales de leur activité et détruisent les moyens de subsistance des populations sans proposer d’alternatives et que des régimes autoritaires, des élites corrompues et des rebelles détournent les revenus à leur profit, alors les industries extractives se muent effectivement en malédiction plutôt qu’en chance pour la paix et la prospérité.

swisspeace Michael Aeby michael.aeby@swisspeace.ch Research Assistant, Statehood / Business and Peace Sibel Gürler sibel.guerler@swisspeace.ch Head, Statehood / Business and Peace