Il apparaît de plus en plus clair que de nombreuses menaces qui pèsent sur le monde actuel trouvent leurs origines dans un idéal ou un paradigme mécaniste. Martin Luther King parlait d’une «civilisation axée sur le matériel». Il s’agit d’une logique de séparation de l’humain et de la nature; de fracture de l’humanité en vertu de questions de classe, de religion, d’ethnie et de genre; de la distinction entre l’individu et le vivre-ensemble. Cet état d’esprit a conduit à l’excision, l’extermination et l’extinction d’espèces, de cultures et de communautés, morcelant la société et nous éloignant de notre humanité. Il sépare les dépositaires du pouvoir des conséquences de leurs actions (Shiva, 2019). Le monde a besoin d’un paradigme différent pour survivre, un paradigme fondé sur l’interdépendance, la détermination et l’autosuffisance, une civilisation axée sur les besoins des personnes et de la planète.

Dans le monde entier, des pionnier·ères travaillent d’arrache-pied pour concrétiser ce nouveau mode de pensée. La transition d’une justice punitive à une justice réparatrice ou d’une agriculture industrielle à une agroécologie suppose de passer d’un modèle de séparation à un modèle d’association. Il est temps d’opérer un tournant similaire dans le domaine de la sécurité, qui repose tant sur les murs et la technologie, pensés pour isoler ou éloigner les menaces, permettant à quelques privilégié·e·s de profiter de sa sécurité, loin d’un autre “déshumanisé”.

Dans la mesure où l’UCP, l’unarmed civilian protection (la protection civile non armée), peut participer à ce changement, nous œuvrons pour qu’elle soit reconnue comme un champ de pratique plutôt que comme une simple boîte à outils utilisée par certains groupes pour lutter contre la violence. L’UCP propose un regard nouveau, selon lequel la sécurité peut émerger du resserrement du lien avec l’autre, considéré comme ennemi.

Ces cinq dernières années, Nonviolent Peaceforce a contribué à la mise en place de l’UCP comme un champ de pratique. L’organisaiton a organisé en Asie, en Amérique latine, en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique du Nord et en Europe des ateliers réunissant des spécialistes de terrain, des universitaires et des décisionnaires pour identifier les bonnes pratiques communes de ce type de travail, l’utilisation de la non-violence pour prévenir et gérer les conflits, protéger la population civile des préjudices physiques et pour contribuer à la promotion d’une paix durable. En tant que communauté de spécialistes de terrain, nous nous efforçons de consolider nos savoirs collectifs et de mieux structurer l’incidence du travail existant et son potentiel d’élargissement. La série de manifestations aura lieu l’année prochaine et s’achèvera par une conférence internationale sur l’UCP, qui devrait se tenir à Genève en 2022.

Nonviolent Peaceforce communauté considère qu’un changement de pradigme nécessite une transition initiée collectivement pour passer d’un modèle s’appuyant par défaut sur la force armée vers une approche civile, non armée et non violente de réponse au conflit et à l’insécurité. Il s’agit d’un défi de taille, dans la mesure où le système actuel du pouvoir dominant s’appuie sur l’utilisation de la force au nom d’un modèle de pensée qui ne procure aucune solution. Pour un changement systémique, nous devons aller au-delà de la simple mise en œuvre de projets. Cela nécessite une approche intégrée de la politique, du plaidoyer, de la mise en œuvre de programmes, de l’éducation et de la recherche. Nous nous efforçons d’aller au-delà de notre propre travail organisationnel pour permettre aux praticiens de l’UCP de se développer en une coalition intersectionnelle de mouvements non violents tels que la protection de la planète, la justice réparatrice et l’économie alternative. L’outil le plus puissant dont nous disposons consiste à tisser des liens entre ces univers distincts, afin de dessiner ensemble la feuille de route qui aidera la communauté mondiale à affronter les menaces existentielles avec courage et compassion.