La Bosnie-Herzégovine et le Rwanda ont connu des catastrophes humanitaires parmi les plus dramatiques depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après les horreurs, la communauté internationale s’est focalisée sur la paix et sur les manières de la promouvoir. De nombreuses voix mettent l’accent sur les facteurs macro-structurels requis pour instaurer une paix stable et affirment que la réussite économique et politique finira par combler les fractures au sein de ces sociétés. D’autres acteurs estiment en revanche que la croissance économique ne suffit pas à garantir la réconciliation nationale et que des efforts doivent être fournis pour que les individus puissent surmonter le traumatisme de la guerre. Un tel processus, visant à établir non seulement une paix politique, mais aussi la paix entre les victimes et les auteurs de violences, doit prendre en compte les dégâts psychosociaux causés par les conflits. Sinon, les rancunes et les préjugés subsisteront au sein de ces sociétés, augmentant le risque de conflits futurs. Les deux articles résumés ci-après soulignent l’importance de l’approche psychosociale en Bosnie-Herzégovine et au Rwanda. Deux pays relativement petits, dans lesquels les méthodes psychosociales sont particulièrement cruciales, puisque les victimes et les auteurs de violences vivent côte à côte.

L’article rédigé par Barry Hart et Edita Colo, intitulé « Psychosocial peacebuilding in Bosnia and Herzegovina: approaches to relational and social change » (La consolidation de la paix psychosociale en Bosnie-Herzégovine : les approches en matière de changement social et relationnel), démontre que la paix ne peut pas s’installer dans une société uniquement au niveau macro-sociétal. Elle doit aussi s’attaquer aux problèmes micro-sociétaux. Les auteurs présentent ainsi des cas d’étude correspondant à des tentatives de réconciliation psychosociale. Ces projets de promotion de la paix ont été conçus pour prendre en considération à la fois la personne et la communauté dans leur globalité, afin de déclencher une transformation en profondeur. Au cours du conflit, les relations entre les habitants ont évolué d’une amitié réciproque à une relation basée sur le doute et la peur de « l’autre ». On a assisté également à une cristallisation de l’appartenance à un groupe ethnique et religieux. Dans ces conditions, le changement ne peut pas venir uniquement de réformes institutionnelles imposées d’en haut : il doit être le fruit d’une réconciliation partant de la base. L’objectif des projets était donc de rétablir les relations entre les différents groupes en les réunissant et en leur permettant de se raconter mutuellement leurs expériences personnelles. Sur le plan psychologique, ces récits permettent de passer de la douleur, la colère et la peur à une prise de conscience des intérêts et des besoins profonds de chacun de ces groupes. Ce processus de promotion de la paix fondé sur une approche psychosociale donne un exemple d’intégration des éléments tangibles et intangibles qui caractérisent les situations d’après-guerre et de conflits en cours. Il aide également à élaborer des théories du changement.

L’importance de la dimension psychosociale est décrite également dans l’article « Psychosocial Interventions, Peacebuilding and Development in Rwanda » (Interventions psychosociales, promotion de la paix et développement au Rwanda), de Wendy Lambourne et Lydia Wanja Gitau. Les auteures critiquent une approche centrée uniquement sur l’État et plaident pour une forme alternative de promotion de la paix, davantage axée sur l’individu, comme les services psychosociaux. Cette stratégie de renforcement des capacités fondée sur les individus et la communauté vise à favoriser la résilience et la cohésion sociale. L’objectif est de rassembler de nouveau les membres d’une société sur le plan interpersonnel, une dimension ignorée par le réformisme institutionnel. Au Rwanda, les changements sociaux, politiques et économiques n’ont pas été suffisamment ancrés dans une transformation psychologique profonde, qui est pourtant la condition indispensable d’une paix durable. Le cas rwandais illustre l’importance d’une approche holistique au niveau micro-sociétal afin de garantir que les services sociaux répondent aux besoins psychologiques et émotionnels en plus de satisfaire les besoins essentiels en matière de nourriture et de sécurité. Par conséquent, il convient de s’inspirer de l’exemple du Rwanda pour faire des interventions psychosociales un élément à part entière des modèles de promotion de la paix et pour les transposer également dans d’autres contextes post-conflit.

En conclusion, la fracture entre les communautés ethniques semble être la trace laissée par l’impact de la guerre et par les effets durables des traumatismes dus aux conflits. Les récits personnels et les échanges basés sur l’accompagnement psychologique peuvent favoriser l’empathie et la compassion entre les différents groupes. Les relations entre les auteurs de violences et les victimes se clarifient et la population prend conscience que ce n’est pas le groupe dans son ensemble qui est responsable de certains actes de guerre, mais des individus précis. Les enseignements recueillis au Rwanda et en Bosnie-Herzégovine peuvent être appliqués à d’autres contextes, dans lesquels les divisions ethniques ont entraîné des violences à grande échelle. Les interventions psychosociales peuvent fournir une orientation pour une possible action sociale commune. Néanmoins, une approche de ce type requiert non seulement des personnes disposant d’une connaissance suffisante du terrain et de compétences adéquates, mais aussi des individus et des groupes sociaux engagés en faveur du changement dans des partenariats avec des acteurs directement impliqués dans le conflit.