N° 149
Février 2017
Art des rues à Bogota, capitale de la Colombie. Creative Commons/ Juan Cristobal Zulueta
swisspeace Lisa Ott lisa.ott@swisspeace.ch Co-responsable, traitement du passé

Après quatre ans de négociations à La Havane entre les Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du peuple (FARC) et le gouvernement colombien, un accord de paix a été ratifié le 1er décembre 2016. Un premier texte soumis à référendum avait été rejeté par les Colombiens, ce qui avait forcé les protagonistes à revenir à la table des négociations. Plusieurs cycles de pourparlers ayant échoué par le passé, cet accord marque un jour historique pour la Colombie, mais suscite également bien des attentes.

Le texte, ambitieux, prévoit toute une série de mesures pour mettre en œuvre les points qui étaient au cœur des négociations, essentiellement les droits des victimes, les cultures illégales destinées au narcotrafic, la politique de développement agricole, la participation politique des FARC et le règlement du conflit armé, lequel prévoit un cessez-le-feu définitif. Mais le contexte colombien n’est pas sans apporter son lot de défis.

Des mesures de réparation en faveur des victimes du conflit ont déjà été prises avant la clôture des négociations. La loi sur les victimes et la restitutions des terres a permis à plus de six millions de victimes d’être indemnisées depuis 2012, et à 194 900 hectares de retrouver leur légitime propriétaire. Toutefois, le gouvernement conduit dans le même temps une politique d’investissement dont les grands projets agro-industriels et l’exploitation intensive de matières premières mettent en difficulté ces groupes marginalisés de la population. Avec, pour résultat, l’accroissement du fossé entre les riches et les pauvres, alors même que la Colombie est déjà l’un des pays les plus inégalitaires au monde.

Ensuite, le processus de paix divise l’opinion publique colombienne. Contrairement à ce qui se passait dans les années 1990, le conflit armé avec les FARC n’est plus une réalité aujourd’hui pour la population des grandes villes, même s’il l’est encore pour une partie de la population rurale, et ce depuis plusieurs années. La cause des FARC ne bénéficie guère du soutien de l’opinion publique en raison de leur responsabilité dans des milliers d’enlèvements et de leur implication dans le trafic de drogue pour financer leurs activités. Or l’intégration des combattants d’hier dans la vie civile et politique ne peut réussir sans le soutien de la majorité de la population. Les autorités, des écoles, des acteurs de la société civile ou internationaux devront donc continuer à orchestrer de larges campagnes d’information mettant en avant les bénéfices du processus de paix. Au vu des résultats du référendum, ils devront le faire encore davantage.

Même en supposant que le retour des FARC à la vie civile se fasse sans difficultés, il serait irréaliste de s’attendre à une amélioration rapide des conditions de sécurité en Colombie. Parallèlement à l’Armée de libération nationale (ELN), avec qui des pourparlers de paix se feront le 6 février prochain, de nombreux groupes armés, vestiges pour leur plus grande partie d’anciennes milices paramilitaires démobilisées, sont toujours présents dans tout le pays. Ils règnent sur la culture, lucrative, de la coca, et ils sont en très grande partie responsables de la forte criminalité. Les dernières estimations des effectifs des FARC font état d’un peu plus de 7000 combattants seulement. Ils appelaient d’ailleurs à un cessez-le-feu unilatéral déjà plusieurs mois avant la clôture des négociations à La Havane.

Les premières semaines et les premiers mois du processus de démobilisation déjà en cours montreront combien de combattants FARC se démobiliseront de manière définitive et rejoindront la vie civile, et combien iront grossir les rangs des autres groupes armés. Le processus de démobilisation des forces paramilitaires dans les années 2000 a montré que la tendance à rejoindre ces groupes était d’autant plus forte que les conditions d’intégration étaient peu attractives. En décembre 2016, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a prononcé un discours mettant en garde contre le péril que constituait pour le processus de paix l’absence d’infrastructures de base, comme l’accès à l’eau potable, d’installations sanitaires et d’accès aux soins de santé dans les zones destinées à accueillir les FARC après leur démilitarisation. C’est l’une des raisons qui font craindre que les combattants ne déposent pas les armes.

D’autre part, les processus antérieurs ont mis en évidence les menaces et les risques d’assassinats qui pèsent sur les combattants démobilisés. Après le cessez-le-feu conclu entre le gouvernement et les FARC en 1984, l’Union patriotique avait été fondée pour être le bras politique du groupe. Après avoir gagné plusieurs élections municipales, près de 3000 membres du parti ont été assassinés dans les années qui ont suivies, principalement par les forces paramilitaires, parfois même en accord avec des membres du gouvernement. Les combattants actuels des FARC n’ont pas oublié ce qui s’était passé. Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et des ONG ont critiqué l’augmentation spectaculaire des violences perpétrées au second semestre 2016 envers les défenseurs des droits humains et les leaders de la société, y compris ceux issus des organisations de la société civile proches des FARC. Ce serait dû, entre autres, à la bataille que se livrent les autres groupes armés pour élargir leur zone d’influence devant le retrait annoncé des FARC. Certes, l’État colombien dispose d’un système sophistiqué de protection des personnes craignant pour leur vie en raison de leurs activités politiques passées ou présentes, mais ce système est d’une efficacité très limitée. L’absence de l’État dans les zones rurales pendant de longues années ainsi que les procédures compliquées entre les différentes administrations, sans compter la corruption, empêchent les mesures préventives de protection de jouer leur rôle et surtout d’être mises en œuvre à temps.

Tous ces éléments rendent difficiles les prédictions sur la réussite des ambitieux projets de démilitarisation et de réintégration des FARC, encore que ces derniers auraient préparé leurs troupes à ce changement depuis déjà assez longtemps. De même, les pouvoirs publics, forts des expériences antérieures, ont lancé leurs préparatifs plusieurs mois avant la signature de l’accord. L’accord de paix en Colombie n’est qu’une des étapes d’un parcours long et semé d’embûches. C’est dans les années qui viennent que nous verrons s’il est réellement en mesure de contribuer à la transformation des causes du conflit.

swisspeace Lisa Ott lisa.ott@swisspeace.ch Co-responsable, traitement du passé