N° 163
Novembre 2019
Programme «Open History – Arts for Peace». Photo de Peter Schmidt

Le Myanmar est l’un des pays les plus diversifiés du point de vue ethnique. Depuis son indépendance, il a connu une série complexe de conflits. Ces derniers représentent un défi majeur pour la promotion de la paix, du développement et de la démocratie. La marge de manœuvre politique reste toujours très limitée et la méfiance persiste. À travers leur projet «Open History – Arts for Peace», HELVETAS Myanmar et l’organisation Pansodan, son partenaire local, créent un espace de dialogue pour renforcer les identités et promouvoir la coexistence pacifique.

Le récit de l’artiste Aung Soe Min commence par ces mots: «La confiance… c’est quelque chose que le Myanmar n’a pas connu depuis longtemps. Rien n’est plus puissant que la confiance, rien ne contribue davantage à l’harmonie, à la cohésion et à la paix.» Sans confiance, toute famille et toute amitié, toute entreprise et tout état peuvent se dissoudre.

D’après People’s Alliance for Credible Elections (PACE), la confiance est difficile à appréhender scientifiquement, mais elle n’en est pas moins présente dans l’ensemble des interactions sociales. Elle permet à l’individu d’être plus fort que s’il était seul; elle rapproche les gens et leur fait ressentir de l’empathie. Il est difficile de restaurer quelque chose qui manque au Myanmar depuis tant de décennies. Selon une étude représentative menée par PACE au Myanmar en 2018, 77 % des citoyens se méfient les uns des autres, souvent pour des raisons d’appartenance ethnique ou religieuse. Instaurer la confiance demande du temps. C’est précisément l’objet du projet «Open History – Arts for Peace»: (r)établir cette confiance et à mieux connaître les «autres». Ce programme a vu le jour sur une idée de l’artiste et fondateur de la galerie Pansodan, qui vit à Yangon.

Vivre l’histoire ensemble

Le projet s’étale sur trois ans et vise à créer un espace de dialogue pour renforcer les identités, échanger des points de vue différents et promouvoir ainsi une coexistence pacifique. Il s’agit essentiellement d’expositions dites Open History (histoire ouverte) dans huit régions du pays, au cours desquelles des femmes, des hommes et des jeunes aux origines ethniques et sociales différentes partagent leur vécu.

Afin d’entendre ces histoires et collecter des photos pour les expositions, Aung Soe Min et deux autres artistes se rendent dans les régions couvertes par le projet et vont à la rencontre des habitants. Aung Soe Min explique: «Les gens sont parfois surpris lorsque nous leur demandons de nous raconter leur histoire ou de nous montrer de vieilles photos. Ils veulent savoir pourquoi nous nous intéressons à des citoyens ordinaires comme eux et nous disent que leur vie n’a rien de spectaculaire. Mais c’est exactement à cela que nous voulons faire écho: jusqu’à présent, seule l’histoire de rois et de généraux a été couchée par écrit, mais jamais celle du peuple. Ce qui nous intéresse, c’est l’histoire des gens normaux et leur perception du passé.»

Vivre dans la diversité – Créer la cohésion

Récits et photos sont recueillis ensemble pour les expositions à venir. Des concours photo et vidéo sont également lancés pour rapprocher les générations: les jeunes entrent en contact avec les plus âgés et les encouragent à leur relater des histoires du passé. Les photos et les vidéos sont ensuite présentés à un large public dans le cadre des expositions Open History.

Un mois environ avant chaque exposition Open History, un événement culturel est organisé dans les villes participantes pour expliquer l’idée au public et instaurer la confiance. Lors des événements d’une journée, les habitants sont invités à contribuer à un thème fédérateur précis. Cela peut-être par exemple un concours entre créateurs de mode pour promouvoir le port de vêtements traditionnels au quotidien ou un défilé dans le cadre d’un festival Thanaka. Le thanaka est un produit cosmétique naturel et une protection solaire. Il est produit à partir de l’écorce de l’arbre à thanaka. C’est un élément commun à tous les Birmans. Des personnes d’horizons différents se rassemblent et partagent leur diversité dans un environnement stimulant. Ce qui paraît normal en Europe est unique au Myanmar: des événements de ce genre n’existaient quasiment pas auparavant.

Environ un mois après la rencontre de présentation, une exposition Open History de quatre jours a lieu, au cours de laquelle les photographies, histoires et vidéos recueillies sont exposées. Afin d’éviter les malentendus, une légende est ajoutée à chaque photo En outre, les matériaux qu’Helvetas et Pansodan reçoivent de la population est contrôlée, afin de déterminer le type de messages qu’elle contient: ces derniers doivent promouvoir la paix. Jusqu’à présent, trois expositions Open History ont été organisées et les réactions des visiteurs ont été très positives. Aung Soe Min raconte avec un sourire: «C’est si agréable de voir à quel point les gens s’impliquent pour raconter leur passé aux autres visiteurs de façon artistique. Et je suis particulièrement heureux que d’autres villages, qui ne sont pas situés dans la région cible de notre projet, imitent nos activités et recueillent eux-mêmes des photos et des histoires pour les montrer à leurs voisins.»

Les pensées sont libres – L’art pour promouvoir la paix

Tout au long du projet, l’approche «Arts for Peace» est utilisée pour instaurer la confiance et la paix à long terme. Dans les contextes de conflit, l’art peut contribuer à la consolidation de la paix de différentes manières. Les arts peuvent renforcer la résilience des personnes confrontées à un conflit et les encourager à résister, même dans des situations difficiles. Par exemple en trouvant de nouvelles occupations, en entretenant une identité culturelle qui donne de la force ou en utilisant l’art comme moyen d’exprimer sa souffrance et pour ne pas combattre la violence par la contre-violence. L’art offre également aux gens une plateforme pour exprimer leurs opinions et échanger des points de vue différents. Cette plateforme encourage le dialogue entre les divers groupes d’identité et d’intérêt et contribue à une culture plurielle et une coexistence pacifique. L’art peut également contribuer au changement social et à la transformation des conflits en touchant les gens, en incitant à changer de perspective, en développant la compréhension d’une situation ou en proposant d’autres processus de réflexion, par exemple par rapport à leur passé ou aux conflits actuels. En association avec les médias, l’art peut également éveiller la conscience du public et ainsi contribuer à des processus de transformation. Il fait tout cela d’une manière particulière, qui peut être directe ou subtile, mais qui interpelle souvent les gens sur le plan émotionnel plutôt qu’intellectuel et donc touche un public plus large. Ainsi, même dans des contextes où il est difficile de parler de conflit, l’art peut aborder certains thèmes et contribuer à la réflexion et à la compréhension.

Au Myanmar, la subtilité est essentielle: dans un contexte où la liberté d’expression est relative, il est important de trouver des moyens simples et diplomatiques pour motiver la population à échanger et réfléchir. Le rêve commun d’Helvetas et de Pansodan est que des expositions Open History voient le jour à travers tout le pays et qu’un jour des extraits en soient présentés lors d’un événement en marge des négociations de paix, qui, espérons-le, reprendront. Cela permettrait d’inciter de manière directe et créative les parties au conflit à changer de perspective.

Partager des expériences – Le «musée virtuel»

Les expositions Open History changent le lieu d’accueil tous les six mois. Le projet vise à rendre accessibles au public les photos exposées, les vidéos et les impressions recueillies dans un «musée virtuel», sur un site Internet, afin que chacun puisse apprendre de l’autre. En s’écoutant mutuellement et en se racontant des histoires, les participants contribuent à un avenir pacifique pour le Myanmar.

Pour l’année 2019, le projet est financé par les fonds propres des organisations et par l’Institut des relations internationales (Institut für Auslandsbeziehungen – ifa) pour le compte du Ministère fédéral allemand des Affaires étrangères.