N° 163
Novembre 2019
Un médecin en consultation avec une Rohingya dans une clinique humanitaire des camps de réfugiés de Cox’s Bazar, Bangladesh. Photo: TSF/Fahim Hasan Ahad

C’est une question que l’on ne se pose pas souvent. Pourtant, les contextes humanitaires sont souvent multilingues et les groupes en marge de la société sont moins susceptibles de parler une langue nationale ou internationale. Une étude récente a mis en lumière l’exclusion linguistique que connaît la communauté des Rohingya.

Depuis 2017, Traducteurs sans frontières (TSF) apporte une aide linguistique aux réfugiés rohingya au Bangladesh. La recherche et les discussions menées avec les réfugiés et les humanitaires permettent d’identifier les pièges en matière de langue et de communication. Cela rend possible la création de ressources terminologiques, de traductions, d’outils picturaux et audiovisuels, de conseils et formations pour le personnel et les bénévoles afin d’améliorer la capacité de communication des intervenants.

Dans une nouvelle étude, TSF évalue les conséquences engendrées par les problèmes de communication pour les communautés rohingya des deux côtés de la frontière entre le Bangladesh et le Myanmar. L’étude s’intéresse à l’influence des barrières linguistiques sur l’accès à des services de qualité dans les villes de Cox’s Bazar et Sittwe.

Elle montre que dans les deux pays, les Rohingya monolingues sont désavantagés. La majorité de la population ne parle que le rohingya. Les femmes, les personnes issues de zones rurales, les réfugiés arrivés récemment et les individus moins éduqués ont plus de chances d’être monolingues.

Incapables de parler la langue des intervenants humanitaires, les Rohingya monolingues dépendent cruellement d’intermédiaires bilingues. Sans eux, ils ne peuvent pas faire part de leurs besoins et préoccupations, avoir accès à l’information ou communiquer avec les décideurs.

Mais les intermédiaires, principalement les locuteurs chittagoniens au Bangladesh et arakanais au Myanmar, ne sont pas vraiment préparés à ce rôle. Beaucoup manquent de formation, d’orientation et de ressources pour développer leur connaissance de la langue et de la culture rohingya. Et ils ne reçoivent généralement pas de formation en interprétation et médiation culturelle.

Par conséquent, ils ne perçoivent pas certains signes verbaux et non verbaux qui pourraient les aider à mieux comprendre ce que les bénéficiaires des services veulent exprimer. Ils ont des conversations bilatérales et parallèles avec les fournisseurs de services et les bénéficiaires alors qu’il faudrait encourager une communication directe entre les deux parties. Et le contrôle que cela donne à l’intermédiaire sur les informations relayées suscite la méfiance des deux côtés. La confiance et la communication s’étiolent et trop souvent, les personnes qui ont besoin d’aide sont laissées pour compte et en proie à la frustration.

Cela limite l’accès à des services de qualité et aggrave les tensions existantes avec les communautés voisines. Les programmes de cohésion sociale axés sur le Myanmar et les locuteurs arakanais renforcent l’exclusion et laissent passer des opportunités de rassembler les communautés.

Les associations humanitaires sont peu conscientes de cette dynamique et de son impact sur la portée, l’efficacité et la responsabilité de leurs programmes. Une enquête menée auprès des agents humanitaires dans les deux contextes a révélé qu’ils surestiment généralement les compétences linguistiques de la communauté rohingya et les similitudes entre le rohingya et les autres langues. Les fournisseurs de services interrogés considèrent les barrières linguistiques moins préoccupantes que les Rohingya sondés.

Cela devrait faire partie des problématiques principales de l’intervention humanitaire aussi bien au Bangladesh qu’au Myanmar. Mais des solutions existent. Notamment:

– Communiquer clairement, éviter le jargon et appliquer les principes du langage clair

– Renforcer les compétences linguistiques et la sensibilisation culturelle du personnel

– Planifier les services de façon à prévoir suffisamment de temps pour l’interprétation et la communication interculturelle