Ecole d’été « Challenge History » 2017 à Mostar. Photo : Comité Helsinki suisse
Comité Helsinki suisse Christoph Lanz christoph.lanz@shv-ch.org

Christoph Lanz est président du Comité Helsinki suisse (SHV), une organisation de la société civile qui s’engage pour la démocratie, l’État de droit et les droits humains en Suisse et à l’étranger. Le Comité Helsinki suisse travaille en réseau avec de nombreux autres comités Helsinki d’autres pays de l’OSCE au sein de la Civic Solidarity Platform (CSP). Christoph Lanz nous explique pourquoi l’OSCE a retrouvé son importance au cours des dernières années, et ce que les ONG peuvent faire dans la région.

Le Comité Helsinki suisse travaille entre autres avec des jeunes dans les Balkans occidentaux. Ce projet a pour objectif de favoriser les rencontres. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Depuis 2007, le SHV organise des séminaires en Suisse et dans les Balkans occidentaux. Les étudiants y discutent des droits démocratiques, de la liberté des médias, de la résolution des conflits et du rapport au passé. Ce projet a été élargi aux élèves plus jeunes dans le cadre de l’école d’été « Challenge History », qui a eu lieu pour la première fois en juillet 2017 à Mostar, en Bosnie et Herzégovine. Près de vingt participants de trois pays encadrés par des experts se sont penchés sur l’histoire des Balkans occidentaux. Des éléments ludiques ont aussi été utilisés. Un exemple : le procès consécutif à l’attentat de Sarajevo, en 1914, contre l’héritier du trône austro-hongrois a été rejoué. Une moitié des élèves incarnait la défense, l’autre l’accusation. Cela a aidé les élèves à se mettre à la place de l’autre camp. Souvent, dans les Balkans occidentaux, l’enseignement de l’histoire a une forte connotation nationaliste. Ce projet aide les jeunes à adopter un point de vue plus ouvert sur le monde. Et c’était réjouissant de voir les participants sympathiser aussi en dehors des cours et faire des activités ensemble.

Y a-t-il d’autres projets prévus ?

Cette première école d’été a été un grand succès. Nous allons donc en organiser une autre cette année au Kosovo, et l’an prochain en Serbie. Malheureusement, le manque de ressources fait que nous ne pouvons pas monter d’autres projets à l’étranger. Mais le Comité travaille aussi en Suisse sur l’enseignement de l’histoire et de l’éducation civique. Nous allons en visite dans des écoles où nous parlons des défis de l’OSCE, des engagements des pays membres, des libertés civiles, de la démocratie et de l’État de droit. L’un de nos objectifs est de multiplier ces visites et de les professionnaliser. Et le 24 août aura lieu l’assemblée annuelle du Comité, à laquelle tout le monde est cordialement invité. Thomas Greminger, secrétaire général de l’OSCE, présentera les défis actuels qui se posent à l’OSCE.

Vous parlez d’un manque de ressources, ce qui nous amène à la question suivante : quelles sont, selon vous, les difficultés actuelles du Comité ?

L’école d’été ne peut être organisée qu’en collaboration étroite avec les ONG locales. Compte tenu de la distance et des langues et vécus différents, la coordination n’est pas toujours simple. Sans compter qu’il est difficile de trouver des sponsors pour ce genre de projets.

On entend souvent dire que ces dernières années, la marge de manœuvre de la société civile aurait diminué. Le ressentez-vous au Comité Helsinki suisse ?

Le Comité n’est pas entravé dans son travail dans les Balkans occidentaux. Cela s’explique sans doute par le fait qu’une école d’été ne menace pas les États, tandis que le travail d’autres ONG défie ouvertement les gouvernements. Nous souffrons indirectement de la méfiance croissante entre les États, qui accumulent les obstacles bureaucratiques. Par exemple, pour obtenir un visa pour Mostar, les élèves du Kosovo ont dû aller au préalable en Macédoine avec leurs parents.

D’autres organisations (y compris de la CSP) nous disent souffrir de cet amenuisement de l’espace laissé à la société civile. Beaucoup de défenseurs et défenseuses des droits humains et d’ONG sont confrontés à des tracasseries phénoménales, et même à des persécutions. La situation est particulièrement précaire en Russie, dans certains États d’Asie centrale et en Turquie. Nous sommes très attristés, bien sûr, de voir ces organisations sœurs subir de telles pressions.

Y a-t-il un lien entre l’oppression des défenseurs et défenseuses des droits humains et les conflits dans la zone OSCE ?

L’oppression croissante des défenseurs et défenseuses des droits humains est une conséquence des tendances de plus en plus autoritaires et nationalistes des gouvernements de la région. Souvent, les États qui ont une attitude agressive envers d’autres pays oppriment aussi leurs propres minorités, comme tout ce qui s’oppose à leur projet. Ils imposent une vision nationaliste. De là à restreindre les droits humains, il n’y a qu’un pas. On peut citer en exemples les conflits en Ukraine, en Arménie et en Azerbaïdjan.

Vous évoquez le conflit ukrainien. Que peuvent faire les ONG face à de tels « conflits gelés » ?

Les ONG sont très actives dans les régions en conflits de l’OSCE, même si cela les amène à subir de fortes pressions. Elles s’engagent par exemple en faveur des défenseurs et défenseuses des droits humains emprisonnés ou harcelés. Dans ce domaine, leurs actions sont souvent couronnées de succès. Elles font pression sur les gouvernements en lançant des pétitions et des appels, qui s’échangent entre ONG, y compris dans le cadre de la CSP.

Depuis le conflit en Ukraine, on entend souvent parler d’un retour de la guerre froide. Partagez-vous cet avis ?

Le conflit en Ukraine a ravivé les tensions entre la Russie et les pays occidentaux, et compliqué la collaboration au sein de l’OSCE. En même temps, il a redonné de l’importance à l’OSCE. Peu après que le conflit a éclaté, elle a mandaté une Mission spéciale d’observation (MSO) en Ukraine. À la frontière des régions en crise, cette mission atténue les tensions. La MSO ne peut pas intervenir directement, c’est sûr, mais sa seule présence a un impact positif, puisqu’elle observe et signale les événements. Elle fonctionne comme les casques bleus de l’ONU. De plus, les négociations entre les parties se déroulent sous l’égide de l’OSCE, et à plusieurs reprises déjà, elles ont conduit à des cessez-le-feu temporaires. Cela a permis de faciliter au moins un peu la vie des populations touchées, par exemple en remplaçant des conduites d’eau détruites. Donc on peut dire que dans cette crise, l’OSCE remplit sa mission de médiatrice entre l’Est et l’Ouest.

La Suisse a présidé l’OSCE en 2014. Quelles ont été les conséquences pour le Comité Helsinki suisse et l’OSCE ?

En 2014 et 2015, le SHV a collaboré très étroitement avec le DFAE. Nous avons aussi participé à un groupe de travail d’ONG suisses. Pour la Suisse, cette présidence a été un succès. Elle a été le premier pays à considérer ce mandat comme une occasion d’évaluer aussi sa propre situation au regard des droits humains. Et elle a fait école. Le fait qu’un Suisse, Thomas Greminger, ait été élu secrétaire général de l’OSCE, s’explique sans doute aussi par l’engagement de la Suisse.

La présidence est actuellement exercée par l’Italie, qui axe l’action sur les migrations et le terrorisme. Quel est le rôle joué par les ONG dans ces domaines ?

Avant la présidence italienne, beaucoup d’ONG venaient déjà en aide aux réfugiés. Pour ce qui est de la lutte contre le terrorisme, les ONG luttent particulièrement contre les abus qu’elle entraîne. De nombreux pays se servent de la « lutte contre le terrorisme » pour faire taire les défenseurs et défenseuses des droits humains et d’autres voix critiques. Les ONG s’opposent à cette tendance. Sur ce thème, la CSP a élaboré en décembre 2017 la « Déclaration de Vienne ». Celle-ci demande que les mesures sécuritaires prises dans le cadre de la lutte anti-terroriste ne servent pas à restreindre abusivement les droits humains.

Comment voyez-vous l’avenir de l’OSCE ?

Je ne pense pas que les conflits dans l’espace de l’OSCE puissent être résolus rapidement. Mais l’OSCE continuera à jouer un rôle important pour prévenir l’escalade et faciliter la vie des personnes touchées.

Comité Helsinki suisse Christoph Lanz christoph.lanz@shv-ch.org