Conférence parallèle de la société civile de l’OSCE, à Vienne le 6 décembre 2017. Photo : Dragan Tatic

L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) est la plus grande organisation de sécurité régionale du monde : elle regroupe 57 États participants et une population de plus d’un milliard de personnes, sur un territoire s’étendant de Vancouver à Vladivostok. Anciennement Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), elle a été baptisée de son nom actuel en 1994. Pendant la guerre froide, la CSCE avait été ouverte dans le but de favoriser le dialogue entre l’Est et l’Ouest, débouchant, en 1975, sur la signature de l’Acte final d’Helsinki. Ce texte, aussi connu sous le nom d’« accords d’Helsinki », entérine le « Décalogue », dix principes qui constituaient à l’époque un compromis entre les intérêts occidentaux et ceux du bloc de l’Est, et reconnaissaient avant tout l’importance universelle des droits de l’homme et des libertés fondamentales comme prérequis à la paix et à la sécurité, ainsi que l’inviolabilité des frontières et l’intégrité territoriale des États. Depuis que l’Italie a pris la présidence de l’OSCE en janvier 2018, la mission de l’organisation a été quelque peu élargie. Pour Angelino Alfano, le président en exercice de l’OSCE et ministre des Affaires étrangères italien, il s’agirait de plus en plus d’agir comme médiateur dans l’espace méditerranéen (entre le Nord et le Sud), une région venant compléter – plus que remplacer – l’espace eurasien, notamment dans le contexte de la migration, l’extrémisme et le terrorisme.

Enjeux pour la société civile dans l’enceinte multilatérale de l’OSCE

Durant les quatre dernières décennies, les groupes de la société civile ont joué un rôle crucial en documentant, en surveillant et en établissant des rapports sur la mise en œuvre de l’Acte final d’Helsinki et des engagements qui en découlent pour l’OSCE. Les informations fournies par la société civile sont capitales pour le travail d’alerte précoce, la prévention et la transformation des conflits ainsi que pour le relèvement post-conflit.

Les modalités de participation aux événements de l’OSCE offertes à la société civile garantissent aux représentants des ONG le droit d’assister aux conférences d’examen, aux réunions de mise en œuvre des engagements et aux séminaires dans le domaine de la dimension humaine, et de s’y exprimer sur un pied d’égalité avec les représentants des États, à la condition qu’ils s’inscrivent auprès du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH). À l’heure actuelle, ces modalités sont néanmoins remises en cause, certains États participants cherchant à introduire de nouvelles règles et procédures pour limiter la participation de la société civile. Ces États voudraient se voir conférer le droit d’approuver (et donc aussi d’interdire) la participation d’interlocuteurs indépendants et critiques de la société civile, au motif par exemple que leurs organisations ne sont pas reconnues au niveau national, que leur expertise est considérée comme insuffisamment « pertinente » ou qu’elles sont accusées de soutenir « l’extrémisme » ou le « terrorisme ». Introduire ce type de mesures de « contrôle » pour restreindre l’espace occupé par la société civile dans l’enceinte multilatérale de l’OSCE ne fait que refléter ce qui s’est passé sur le terrain dans beaucoup d’États participants ces dernières années.

Enjeux pour la société civile dans la région de l’OSCE

La présentation ci-après des enjeux auxquels la société civile est confrontée dans la région de l’OSCE repose sur des informations et documents fournis par le réseau d’ONG « Civic Solidarity Platform », qui est présent dans tout l’espace OSCE.

Les crises auxquelles l’Ukraine et les régions alentours restent en proie en matière de sécurité et de droits de l’homme ainsi que d’autres contextes de conflit enlisés restent des priorités. Les acteurs de la société civile demeurent déterminés à contribuer à la transformation des conflits et au relèvement post-conflit, et fournissent un travail d’alerte précoce dans le but de prévenir l’éclatement de nouveaux conflits.

L’augmentation des restrictions des libertés d’association, de réunion pacifique et d’expression et le durcissement des menaces planant sur la sécurité des acteurs de la société civile, sur leur liberté de mouvement et leur droit à un procès équitable ont conduit à un rétrécissement significatif de l’espace de la société civile dans la région OSCE. Ces restrictions sont souvent légitimées au nom de la protection de la souveraineté nationale, de la sécurité nationale, de la prévention d’une « ingérence d’une puissance étrangère dans les affaires intérieures du pays », de la « lutte contre l’extrémisme  et le terrorisme » et de la protection des « valeurs traditionnelles ».

La liberté d’expression a reculé dans beaucoup d’États participants et la désinformation est devenue un phénomène inquiétant, prenant souvent pour cibles les migrants, les réfugiés, les personnes LGBTI, les défenseuses et défenseurs des droits de l’homme et les femmes. De nombreux États participants de l’OSCE ne prennent pas les mesures nécessaires pour prévenir les menaces et les abus, enquêter en la matière, engager des poursuites ou les sanctionner ; dans bien des cas, ils sont eux-mêmes complices.

Dans de nombreux pays de l’OSCE, le cadre constitutionnel même est menacé : plusieurs référendums sur la constitution ont débouché sur un renforcement inquiétant du pouvoir de l’exécutif et sur un affaiblissement des contre-pouvoirs. Ces crises constitutionnelles reflètent les menaces qui pèsent sur l’état de droit, les libertés fondamentales et la démocratie elle-même.

Les partis d’extrême droite et populistes gagnent du terrain sur l’échiquier politique dans l’ensemble de la région de l’OSCE, beaucoup fondant leur rhétorique sur la souveraineté nationale, la sécurité et les valeurs traditionnelles, au dépens des droits individuels, et sur le rejet de ceux perçus comme « étrangers », tels que les réfugiés fuyant la violence. On assiste à une montée manifeste des sentiments anti-réfugiés, de la xénophobie et des discours haineux.

Les attaques terroristes ont conduit plusieurs gouvernements à adopter une législation sur le terrorisme plus intransigeante, marquant un tournant vers une ligne plus dure en matière de sécurité, au détriment des libertés individuelles. De nombreuses lois anti-terroristes laissent la possibilité d’interprétations erronées et d’abus prenant pour cibles les minorités, les figures de l’opposition et les voix discordantes de la société civile. D’autres réglementations violent la vie privée et la sécurité des personnes en étendant les pouvoirs de surveillance de l’État ; enfin, l’usage de pouvoirs exceptionnels et la prise de mesures temporaires telles que la promulgation de l’« état d’urgence » risquent de rentrer dans la normalité.

L’augmentation du recours à la torture ou de sa justification et la multiplication des cas de disparition forcée dans les États participants de l’OSCE sont alarmantes. La poursuite des auteurs de ces actes est, elle, honteusement insignifiante, ce qui illustre le caractère systématique de ces phénomènes dans de nombreux pays.

Retour vers le futur

Restreindre l’espace de la société civile revient à mettre en péril l’efficacité, la crédibilité et la raison d’être profonde de l’OSCE à une époque où les acteurs de la société civile ont besoin, plus que jamais, des tribunes que leur offre cette organisation pour faire entendre leurs voix. L’impossibilité pour eux de travailler efficacement affaiblira non seulement la participation de la population aux processus démocratiques, mais aussi la capacité d’agir de l’OSCE en elle-même, puisque c’est la société civile qui lui fournit beaucoup d’informations capitales provenant du terrain ainsi que des idées novatrices sur la façon de combler les failles existant dans la mise en œuvre des engagements de l’OSCE. Les récentes tentatives de certains États participants pour restreindre la participation de la société civile vont à l’encontre de ces objectifs et peuvent être considérées comme des signaux d’alerte précoces, indiquant que la paix et la stabilité sont menacées dans la région de l’OSCE. La participation d’acteurs de la société civile traitant de questions transversales liées à la sécurité humaine est un élément clé du programme de sécurité inclusif et global de l’organisation et un prérequis à la réussite des processus de prévention des conflits, de démocratisation et de promotion de la paix à long terme.