Rencontre des délégations de Russie, d’Ossétie du Sud et de Géorgie en février 2016 sous une tente placée à proximité du point de passage fermé sur la ligne administrative, près d’Ergneti (Géorgie). Photo: OSCE

Texte tiré de l’édition 2/16 du journal Swiss Peace Supporter (pages 14-16)

En dépit de leurs différences, la Géorgie et l’Azerbaïdjan sont deux exemples qui montrent que les conflits liés à l’indépendance dans l’espace post-soviétique peuvent compromettre une architecture de sécurité européenne. En effet, les conflits locaux non résolus sont tout à fait susceptibles de bloquer un ordre de paix à l’échelle européenne.

Depuis l’effondrement de l’Union soviétique au début des années 1990, le Caucase du Sud est le théâtre de conflits non résolus, tant en Géorgie (Abkhazie et Ossétie du Sud) qu’en Arménie et en Azerbaïdjan (Haut-Karabagh). Si tous ces conflits prennent racines dans la politique nationale stalinienne, ils se distinguent néanmoins par leur structure, leur intensité et par les tentatives ébauchées pour y remédier.

En Géorgie, deux régions, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, ont fait sécession. Depuis les guerres de 1992 à 1994 et de 2008, elles sont protégées, ou selon le point de vue géorgien: occupées par des troupes russes. La Géorgie condamne l’occupation russe et la reconnaissance de ces deux « États », qu’elle considère comme une atteinte à son intégrité territoriale, et exige la réintégration de ces deux territoires. Dans cet imbroglio, toute question portant sur le statut de ces régions, et donc de la solution de paix, est tabou. Suite à l’accord Sarkozy-Medvedev de septembre 2008, les « Geneva International Discussions » (GID) sont néanmoins parvenues à s’imposer comme cadre durable du traitement du conflit.

Ces « Geneva International Discussions » (GID) sont animées par un comité de trois personnes: des représentants de l’UE, de l’ONU, et moi-même en qualité de représentant spécial de la présidence allemande de l’OSCE. Y prennent part des représentants des parties: la Russie, la Géorgie, mais aussi l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, ces dernières n’étant toutefois pas reconnues comme parties au conflit par la Géorgie. Les GID, qui ont donné lieu à 35 séances de pourparlers jusqu’en mars 2016, traitent tous les trois mois de questions de sécurité et de questions humanitaires, en deux groupes de travail. Certaines de ces questions sont très polémiques et sensibles, comme le retour des personnes déplacées ou la liberté de voyager pour les Abkhazes. Il n’est pas rare d’assister à un « walk out » c’est-à-dire que les membres d’une délégation se lèvent et quittent la pièce. Mais sur le plan technique, à plusieurs reprises, des accords ont pu être trouvés, par exemple sur l’irrigation ou sur la protection des biens culturels.

J’anime aussi, avec la Mission d’observation de l’UE, le « Incidents Prevention and Response Mechanism », ou plus brièvement: l’IPRM. Dans ce cadre, les délégations russe, ossète et géorgienne se rencontrent une fois par mois sous une tente de l’OSCE, près d’un passage de frontière bloqué. Plus de 70 rencontres, d’une durée de plusieurs heures chacune, ont déjà eu lieu à Ergneti. L’IPRM comprend aussi une « hotline » téléphonique très sollicitée, souvent pour des franchissements illicites de la « ligne de démarcation administrative ». La population locale est la principale victime du conflit. Nous ne cessons de chercher des solutions, par exemple pour faire en sorte que les paysans puissent aller chercher leurs vaches égarées sans courir le risque de se faire arrêter. Les disparus pendant la guerre civile sont une question particulièrement tragique, qui est confiée au Comité international de la Croix-Rouge.

Tel qu’il se présente actuellement, le conflit qui oppose l’Arménie et l’Azerbaïdjan sur la question du Haut-Karabagh remonte aussi aux revendications d’indépendance des anciennes républiques soviétiques. La région du Haut-Karabagh (jardin noir en montagne), peuplée majoritairement d’Arméniens, s’est déclarée indépendante de l’Azerbaïdjan en 1992, après un conflit armé ; aujourd’hui encore, les affrontements sur la « ligne de contact » perdurent. En mai 2016, la situation semblait calme, ce qui ne signifie pas qu’elle soit stable. Depuis la surprenante escalade du conflit entre le 2 et le 5 avril 2016 et la « trêve de Moscou » négociée oralement entre les parties, des violations quotidiennes du cessez-le-feu continuent à être constatées. Les 28 et 29 avril 2016, le conflit s’est de nouveau envenimé ; de part et d’autre, la situation est alarmante, avec des troupes prêtes à intervenir.

Le suivi régulier de l’OSCE, mené par l’ambassadeur Andrzej Kasprzyk, conseiller personnel de la présidence de l’OSCE pour le Groupe de Minsk, est tout à fait de nature à restaurer la confiance. J’ai pu m’en convaincre début mai 2016, à l’occasion d’une visite de suivi avec la participation du pays exerçant la présidence de l’OSCE, l’Allemagne. Ce suivi n’en reste pas moins un instrument symbolique. Un mécanisme efficace devrait s’inscrire dans le contexte d’un cessez-le-feu renforcé qui associerait le suivi à un système d’examen.

L’Azerbaïdjan n’accepterait toutefois un tel concept que si l’Arménie se retirait des sept districts limitrophes du Haut-Karabagh. Or l’Arménie exige que le statut du Haut-Karabagh soit fixé avant d’envisager des compromis sur d’autres territoires. Depuis la guerre d’avril, les deux parties et le Haut-Karabagh semblent plus éloignés que jamais d’un compromis ; les positions sur lesquelles ils campent depuis plus de vingt ans se sont encore durcies. La marge est devenue très étroite pour mener des négociations de paix. En outre, le temps presse, car des opérations de guerre peuvent être déclenchées à tout instant, d’autant que les frustrations, mais aussi les peurs et la fatigue augmentent chez les populations concernées.

En Géorgie, aucune solution pour la paix n’est envisageable à brève échéance. Dans ce contexte, les GID servent à stabiliser la situation dans une région où les affrontements militaires se sont calmés. Il n’en va pas de même au Haut-Karabagh: là-bas, les six composantes d’une paix durable sont réunies. Il n’existe toutefois pas de format de négociations accepté qui intégrerait ces principes à un traité de paix, dans le cadre d’un processus structuré. Au contraire, l’intensité du conflit sur la ligne de contact s’accroît régulièrement. La Géorgie et l’Azerbaïdjan sont deux exemples différents qui montrent que les conflits liés à l’indépendance dans l’espace post-soviétique peuvent compromettre l’architecture de sécurité européenne.