Actuellement, lorsqu’on parle de l’OSCE, c’est souvent pour parler de la Russie et de son rôle dans le conflit ukrainien. Ce faisant, on néglige souvent d’aborder la composante historique de la relation entre la Russie et l’OSCE. Wolfgang Zellner et Elena Kropatcheva ont examiné de près l’évolution de cette relation : le premier en 2005 dans l’article « Russia and the OSCE: From High Hopes to Disillusionment », et la seconde en 2015 dans « The Evolution of Russia’s OSCE Policy: From the Promises of the Helsinki Final Act to the Ukrainian Crisis ». Que nous disent-ils de cette évolution ? Et comment celle-ci s’est-elle transformée entre 2005 et 2015 ?

Jusqu’au tournant du millénaire, la Russie avait une vision tout à fait positive de l’OSCE. Kropatcheva parle de cette période comme d’une brève « lune de miel », et Wellner évoque les « intérêts positifs » de la Russie envers l’OSCE. C’est la Russie qui au début des années 1990 a proposé la transformation de l’OSCE en organisation internationale fondée sur un traité et dotée de moyens de contrainte juridique ainsi que d’un conseil exécutif à capacité décisionnelle, semblable au Conseil de sécurité de l’ONU. Selon Zellner comme selon Kropatcheva, les raisons de cette initiative étaient variées. L’Union soviétique avait intérêt à préserver l’acceptation du statu quo politique en Europe, à intensifier le commerce avec les pays européens, ou à accéder aux technologies occidentales. Cette initiative était par ailleurs motivée par la perspective d’un élargissement à l’est de l’OTAN.

L’espoir de voir naître une telle organisation appuyée sur des accords internationaux a cependant bientôt fait place à la désillusion. Des conflits d’intérêts de nature très différente ont conduit la Russie à changer de politique vis-à-vis de l’OSCE. Là encore, les deux auteurs s’accordent pour estimer que le rôle de l’OTAN a été décisif. Ainsi, l’intervention de la Kosovo Verification Mission (KVM) dépêchée en 1999 par l’OSCE en accord avec la Russie s’est soldée par un échec et des frappes militaires de l’OTAN. À la suite de ces événements, la Russie a radicalement changé d’attitude face à l’OSCE. L’organisation n’incarnant plus la possibilité d’une politique de sécurité commune en Europe, la Russie s’est mise à la considérer comme un instrument de l’OTAN, explique Zellner. Mais les deux auteurs évoquent aussi d’autres facteurs : par exemple le manque de protection de la minorité russophone dans les pays européens aux yeux de la Russie, l’impression de double morale dans les activités de l’OSCE (du point de vue russe, la plupart de ces activités se concentraient sur les pays postsoviétiques), ou le manque de prise en compte des dimensions politico-militaire et économique par rapport à la dimension humaine.

Zellner résume la situation en expliquant qu’en 2005, la Russie ne voyait plus en l’OSCE qu’un agent du changement. Et tandis que la Russie avait échoué à défendre ses intérêts et son influence, l’Occident, lui, avait réussi à étendre la sienne aux dépens de la Russie. Face à ce conflit d’intérêts, Zellner estimait que l’OSCE n’avait qu’une seule possibilité de perdurer : il fallait que la Russie reconnaisse que le meilleur moyen de maîtriser l’évolution perpétuelle du monde résidait dans la coopération avec l’Occident. Or l’OSCE pouvait en devenir le cadre, à la condition toutefois d’évoluer elle-même, en cessant de se focaliser sur la dimension symbolique politique pour devenir une organisation traitant les menaces et les risques internationaux. Si elle échouait à se réformer, elle risquait de voir sa position marginalisée. L’OSCE resterait alors une organisation « stand by », dont l’utilité se verrait peut-être seulement en cas de conflit.

L’OSCE est-elle parvenue à évoluer dans ce sens ? Si l’on se penche sur l’article de Kropatcheva la réponse est plutôt négative, regardant les années 2005 à 2015. Les révolutions de couleur en Géorgie, en Ukraine et au Kirghizistan, la condamnation des fraudes électorales en Russie et le soutien apporté aux protestations contre le gouvernement par le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE (ODIHR) n’ont fait que creuser le fossé entre l’OSCE et la Russie. Kropatcheva cite Vladimir Poutine, qui en 2007 a qualifié l’OSCE de « vulgaire instrument visant à promouvoir les intérêts politiques étrangers d’un groupe de pays ». Avec la guerre au Caucase de 2008 et la crise ukrainienne de 2015, la relation entre l’OSCE et la Russie a connu de nouveaux embarras.

Ce sont précisément ces crises qui, selon Kropatcheva, ont montré que le cadre proposé par Zellner pour identifier et prévenir les conflits internationaux et la gestion pacifique des relations entre États membres a échoué. Pour Kropatcheva, l’OSCE est devenue ce que Zellner appelait une organisation « stand by », à laquelle on n’a recours qu’en cas de conflit. Pourtant, toujours selon Kropatcheva, c’est précisément ce rôle qui a fait la force de l’OSCE dans le conflit ukrainien. L’OSCE a ainsi été le médiateur le plus impartial entre les parties, et c’est seulement grâce à l’intervention de l’OSCE que des accords de coopération ont pu être trouvés, par exemple l’envoi de la Mission spéciale d’observation en Ukraine.