Photo prise depuis la voiture, Mossul, janvier 2020/Creative Commons

Le concept d’infodémie n’est pas nouveau, mais il est revenu sur le devant de la scène avec la pandémie de COVID-19, pendant laquelle des campagnes de désinformation et de mésinformation à grande échelle ont posé problème aux acteur·rice·s internationaux·ales· et nationaux·ales qui luttaient contre la pandémie. De la même façon, dans certaines situations de conflit, la désinformation et la mésinformation ont aggravé les tensions sociales et alimenté l’hostilité à l’égard de groupes déjà marginalisés.

Au cours de la dernière décennie, les technologies numériques ont redessiné les contours des conflits. Avec la pénétration croissante d’Internet, l’accès aux appareils connectés, la multiplicité et la prolifération des médias sociaux, l’environnement informationnel dans lequel se déroule les conflits et où opèrent les acteur·rice·s de la consolidation de la paix est en constante évolution. Les acteur·rice·s de la consolidation de la paix et les médiateur·trice·s doivent donc mieux comprendre le rôle des technologies numériques, à la fois leur impact sur les conflits et la manière dont elles peuvent être utilisées pour catalyser la paix.

Tout d’abord, il est important de reconnaître que les technologies numériques posent de nombreux problèmes aux acteurs et actrices de la consolidation de la paix et de la médiation. L’utilisation malveillante de la technologie, en particulier pour propager de fausses rumeurs ou des discours de haine contre certaines communautés, peut réduire à néant les efforts en faveur de la paix. Une telle utilisation abusive des réseaux sociaux exacerbe la polarisation et cloisonne les personnes ayant des opinions similaires dans des chambres d’écho, créant ainsi des clivages supplémentaires dans les situations de conflit.

Mais l’impact de la technologie numérique n’est pas uniquement négatif. La médiation s’est traditionnellement concentrée sur l’interaction humaine, où les «poignées de main» attestent de la confiance et de l’accord. Même si cela restera toujours vrai, il est indéniable que les technologies numériques peuvent accompagner le travail des médiateur·trice·s. Par exemple, en permettant une communication en temps réel qui abolit les barrières physiques et virtuelles, les plateformes numériques permettent aux médiateur·trice·s d’hybrider les mécanismes de consultation pour atteindre des parties prenantes à la fois plus nombreuses et plus variées. Il est ainsi possible d’inclure des interlocuteur·trice·s ou certains groupes qui ne seraient pas représentés autrement (tels que les groupes de la société civile et les minorités).

Les applications technologiques peuvent également contribuer à renforcer les capacités d’analyse des équipes de médiation. Aujourd’hui, le journalisme citoyen génère une grande quantité d’informations via les réseaux sociaux, et les outils numériques aident les médiateur·trice·s à donner un sens à ces informations, ce qui est particulièrement utile à l’analyse des conflits. En outre, analyser les réseaux sociaux dans des contextes de conflit offre de nombreux avantages en termes d’alerte précoce, de prévention et de préparation générale.

En favorisant un engagement conscient, informé et avisé, les réseaux sociaux permettent aux médiateur·trice·s de communiquer plus efficacement dans la mesure où ils.elles atteignent un grand nombre de personnes, racontent leur propre version des faits, échappent à la censure, présentent des arguments en faveur de la paix et luttent contre la désinformation. Ainsi, les réseaux sociaux deviennent un nouvel espace qui permet aux médiateur·trice·s de contribuer à l’élaboration de récits sur le rétablissement de la paix et de communiquer stratégiquement avec leurs publics cibles.

À l’inverse, les réseaux sociaux menacent de restreindre la confidentialité des pourparlers de paix et et d’abaisser le seuil à partir duquel les parties peuvent partager des informations qui ne sont pas destinées au grand public. En outre, certaines applications de solutions basées sur l’intelligence artificielle, pertinentes pour la médiation, soulèvent des questions éthiques sur les contours et les limites de l’IA dans la médiation, telles que les biais intersubjectifs, les inégalités numériques et la marginalisation, ainsi que le rôle du secteur privé de la technologie dans la résolution des conflits.

La pérennisation des outils technologiques au service des médiateur·trice·s se fera de façon progressive. Même si la culture numérique des acteur·rice·s de la consolidation de la paix tend à s’améliorer, elle ne leur permet pas encore d’appliquer des solutions de manière autonome. La mauvaise utilisation de la technologie en contexte de conflit s’étant avérée beaucoup plus évidente que les avantages qu’elle peut offrir, l’intégration des solutions technologiques dans les processus de médiation se heurte encore à un certain scepticisme. Les acteur·rice·s de la consolidation de la paix et les experts en technologie doivent échanger pour parvenir à une compréhension nuancée de ce que la technologie peut leur offrir, quel que soit leur échelon.

Ceci étant, la communauté des acteur·rice·s de la paix prend de plus en plus conscience qu’elle doit exploiter ce potentiel. À cette fin, les Nations unies et le Centre pour le dialogue humanitaire ont lancé une boîte à outils sur les technologies numériques et la médiation, dont le but est d’étudier les applications de diverses technologies, leur pertinence potentielle et les risques qu’elles présentent pour les médiateur·trice·s.

swisspeace a également pris part aux débats politiques sur le lien entre technologie et médiation, en mettant l’accent sur les avantages et les inconvénients des réseaux sociaux pour les médiateur·trice·s. En 2018, swisspeace a cofondé l’initiative CyberMediation avec le Département des affaires politiques et de la promotion de la paix de l’ONU ainsi qu’avec le Centre pour le dialogue humanitaire et DiploFoundation. Cette initiative visait à mieux comprendre la relation entre les technologies numériques et la médiation dans ses différentes applications et dimensions. Elle est désormais devenue le “CyberMediation Network”, une initiative plus ambitieuse et mieux établie qui a pour but d’améliorer la pratique de la médiation et la prévention des conflits, leur atténuation et leur résolution au travers de débats sur les avantages, les risques et les applications des outils numériques, y compris le rôle des réseaux sociaux dans les contextes de conflit.

Nous constatons une évolution positive de la recherche sur l’impact des technologies numériques dans le rétablissement de la paix, ainsi que des interactions entre décideurs politiques, acteur·rice·s de la paix, chercheur·e·s et expert·e·s numériques pour permettre aux médiateur·trice·s de valoriser le potentiel des technologies numériques. La médiation ne saurait être guidée par des solutions technologiques, mais la technologie peut soutenir les efforts de paix menés par l’homme dans des situations de conflit de plus en plus complexes et à plusieurs niveaux. Nous pensons que c’est sur ce point que la conversation devrait se concentrer.

Pour de plus amples informations sur le CyberMediation Network, veuillez contacter cybermediationnetwork@gmail.com