Camps de déplacés Bentiu incendié, avril 2014. Nonviolent Peaceforce
Nonviolent Peaceforce Tiffany Easthom teasthom@nonviolentpeaceforce.org Directrice

En avril 2014, je me tenais au milieu des ruines de ce qui avait été le bureau de Nonviolent Peaceforce (NP) dans une ville appelée Bentiu, au Soudan du Sud. La dernière guerre civile ne remontait pas à plus de cinq mois, les combats étaient toujours féroces et s’aggravaient, et avec la lutte pour le contrôle du territoire, les lieux stratégiques comme Bentiu changeaient de mains toutes les quelques semaines. Les infrastructures de la ville avaient été largement détruites, notamment l’enceinte où notre équipe vivait et travaillait depuis des années. Le bâtiment avait essuyé les ravages des bombardements, l’intérieur avait été incendié et les pillards avaient fait main basse sur tous les objets de valeur. C’est alors que je remarquai des mots écrits sur les murs auparavant vierges. Les parois endommagées étaient remplies de messages de haine. «Mort à ces salauds de Nuer», suivi d’un nom et d’un âge, *Chol, 16 ans. À côté, une phrase clamant que «Dieu déteste ces vermines de Dinka», là encore accompagnée d’un nom et d’un âge, *James, 17 ans. Et cela continuait. Des messages rédigés dans les langues locales et en anglais, dans un style d’écolier, des messages échangés entre membres de la génération censée guider le Soudan du Sud vers un avenir pacifique.

Nous savons à présent que cela n’était que le début d’une guerre à laquelle six ans plus tard le Soudan du Sud tente toujours de mettre un terme. Il s’agissait aussi des prémices d’une campagne de discours haineux qui allait nourrir la violence à travers tout le pays. Bien que terribles, ces messages manuscrits ne cessaient guère. Ensuite, on fit usage massif de la radio et des réseaux sociaux pour inciter les populations à se montrer violentes, pour diffuser de fausses informations, pour attiser les conflits et pour diviser les groupes selon des identités toujours plus étriquées et retranchées. Il devint bientôt clair que la diffusion des discours de haine devenait presque aussi dangereuse que la prolifération des armes. Il fallait que les actions de lutte contre la violence de NP prennent cet aspect en compte pour avoir un impact. Pour reprendre le contrôle de ces rumeurs, nous avons dégainé l’un des outils de l’UCP, l’unarmed civilian protection (la protection civile non armée).

À l’origine, NP a développé son travail de contrôle des rumeurs au Soudan du Sud car les technologies était si peu répandues que les communautés réagissaient à des informations de façon limitée. Dans les villages dépourvus de réseau téléphonique ou d’accès à Internet, certains groupes quittaient leurs maisons, leurs récoltes, leurs proches sur la base d’une rumeur qu’ils n’avaient pas la possibilité de vérifier. Nous avons exploité l’équipement de NP pour aller de village en village et tisser des relations approfondies et non partisanes. Nous avons pu peu à peu donner des informations et, plus important encore, réunir des messagers crédibles. Dans ce contexte de guerre, alors que ces rumeurs locales continuent d’être un problème, on a observé une augmentation de l’utilisation des technologies numériques, accompagnée d’un durcissement des messages véhiculés. Nous nous sommes adaptés en soutenant les groupes de protection locale dans l’accès aux technologies pour vérifier et contrer les divers messages, sensibiliser à l’impact des réseaux sociaux – aussi bien positif que négatif – et au phénomène répandu des fausses informations. Tenter de débusquer les discours de haine se diffusant à la vitesse de l’éclair s’est révélé être une expérience intéressante et, dans de nombreux cas, percutante. Un élément, toutefois, se vérifie constamment: rien n’est plus important que les relations humaines. La confiance, la crédibilité des messages et le contact suivi sont essentiels pour battre en brèche les rumeurs et la haine, celles qui se murmurent à l’ombre d’un manguier comme celles diffusées sur les ondes radio, ou de manière virale sur Internet.

Nonviolent Peaceforce Tiffany Easthom teasthom@nonviolentpeaceforce.org Directrice