Les réseaux sociaux sont de nouveaux générateurs de conflits qui, par voie numérique, exacerbent les comportements et les dynamiques menant à la polarisation. Néanmoins, ils permettent égalent d’agir.
La polarisation est un processus fluide et dynamique inextricablement lié à l’escalade d’un conflit, dans lequel une spirale se renforce et se catalyse d’elle-même pour séparer ou opposer des idéologies ou des groupes identitaires en accentuant leur différence. En tant que processus, c’est par ses dynamiques que la polarisation se définit le mieux.
Lorsqu’un un conflit s’envenime, des stéréotypes et des diffamations à l’encontre du camps inverse émergent. Les individus ou institutions qui jouaient auparavant un rôle neutre, de modération ou de médiation, sont réduits au silence ou poussés à abandonner leur position centrale. D’importantes lignes de communication et d’interaction, normales dans le cadre de relations pacifiques, sont supprimées et la confiance s’étiole. Qui dit moins de communication dit moins d’information, et augmentation des attentes biaisées envers l’autre. Les groupes ayant moins de liens avec les individus de l’autre camp peuvent avoir plus de facilité à recourir à des actions ou à des rhétoriques plus belliqueuses à leur encontre. Chaque groupe adopte des positions plus rigides et plus radicales, encore renforcées par l’homogénéité et la cohésion inhérentes au groupe. Comme sous l’effet d’un puissant cours d’eau, les individus et les structures qui se trouvaient sur les berges sont balayés et emportés vers les pôles. La polarisation est une dynamique humaine qui a existé bien avant de trouver des appuis dans le monde en ligne.
Cependant, le flux induit par les réseaux sociaux ouvre de nouvelles voies dans le paysage, formant de nouveaux affluents et courants dans ce cours d’eau. En effet, ils contribuent à renforcer la polarisation de deux manières: (1) le profilage et les algorithmes développent l’engagement; (2) les incitations encouragent l’action et la dépendance à l’égard de l’engagement. Le ciblage des messages et des publicités fait que les messages politiques et culturels sont ajustés, en général pour augmenter l’adhésion ou la cohésion d’un groupe. Les algorithmes renforcent la vision du monde de chacun en mettant en valeur les contenus et les personnes qui partagent les mêmes idées et en privilégiant les contenus qui suscitent le plus d’engagement. La conversion de l’attention en profit incite à multiplier ces contenus à forte charge émotionnelle qui suscitent indignation ou implication; les technologies persuasives créent une addiction à la participation au processus de polarisation par l’engagement en faveur de ce contenu. En outre, le fonctionnement des réseaux sociaux permet de nouvelles dynamiques de polarisation, avec les abus qu’elles entraînent: propagande informatique, propagation des conflits, conditions de contact, discours de haine, surveillance, prosélytisme, etc.
Le modèle actuel, caractérisé par la monétisation des médias sociaux, fait qu’il est peu probable que ces moyens disparaissent de sitôt. Alors, que pouvons-nous faire pour travailler dans ce cadre? Utiliser le profilage et l’incitation pour développer des liens. Des projets tels que «The Commons» aux États-Unis et «Maskani» au Kenya démontrent qu’ils permenttent de créer de nouveaux points d’accès qui favorisent l’engagement en temps de conflit. Dans les deux cas, les individus prennent conscience du cours d’eau et de ses courants, et reçoivent des idées et des incitations inversant le cours de la polarisation au sein de leurs propres réseaux afin de créer et renforcer les liens, la confiance, les conversations constructives et l’inclusion en ligne. La dépolarisation aussi est une dynamique humaine, et grâce à des projets tels que ceux-ci, elle commence à faire son chemin sur la toile.
