Nuno Gonçalves Macedo

Nuno Gonçalves Macedo, consultant indépendant, a fait des études de coopération au développement et de théologie. Il possède une longue expérience de la collaboration avec des acteurs confessionnels. Récemment, il a travaillé pendant plus de trois ans dans le cadre du programme pour l’Angola de Christian Aid, d’abord comme chargé de programme, puis comme consultant. À ce poste, il était responsable des partenariats avec les organisations confessionnelles angolaises. Il est actuellement membre du comité directeur de la FEC, une ONG créée par l’église catholique du Portugal. Dans cet entretien, il nous explique en quoi la religion et les acteurs religieux peuvent contribuer à la paix, et il revient sur sa participation à la formation post-diplôme « Transformation des conflits et rôle de la religion » organisée par swisspeace.

Vous avez travaillé en Angola, mais aussi en Guinée-Bissau. La religion joue-t-elle un rôle dans les conflits qui affectent ces pays ?

Dans les guerres civiles que ces deux pays ont connues, les gens ne se battaient pas pour des raisons religieuses. Néanmoins, pendant la période coloniale qui a précédé ces événements, on sait que différentes confessions chrétiennes ont joué un rôle idéologique et organisationnel dans l’émancipation de diverses communautés et groupes ethniques, ainsi que dans la formation de leurs leaders, particulièrement en Angola. Cela a eu des incidences sur la guerre d’indépendance, y compris sur la guerre civile qui a suivi, ainsi que sur le développement du nouvel État et de la société angolaise.

De même, différentes entités chrétiennes dans le cas de l’Angola, et différents acteurs chrétiens et musulmans dans le cas de la Guinée-Bissau, ont plusieurs fois joué un rôle de médiation important entre les parties pendant le conflit civil. À ce jour, différents acteurs religieux jouent un rôle significatif dans la formation de l’opinion publique, en particulier à travers des interventions plus ou moins publiques sur diverses questions sociales et politiques, même si la plupart du temps, ils prennent leurs distances avec les partis politiques. Les gouvernements reconnaissent l’autorité éthique et le pouvoir des acteurs religieux, et cherchent à dialoguer avec eux en les considérant comme des partenaires sociaux. La religion est fondamentale dans l’établissement d’un cadre éthique, représentant une source majeure de valeurs et de principes qui influencent fortement la manière dont les gens mènent leur vie, que ce soit en tant qu’individus ou au sein des communautés. Les acteurs religieux fournissent également d’importants services sociaux à la population, notamment en matière d’éducation et de santé.

À partir de votre expérience, comment la religion et les acteurs religieux peuvent-ils contribuer à la paix ?

Je crois que la religion et les acteurs religieux peuvent contribuer à la paix dès lors qu’ils prennent fait et cause pour la justice et la dignité de tous, pour un bien-être fondé sur une valeur commune qui protège aussi les plus faibles, et dès lors qu’ils prennent leurs distances avec les méthodes violentes de résolution des conflits.

De nombreuses religions partagent une « règle d’or », qui veut que l’on traite les autres comme on voudrait être traité soi-même. Sous leur meilleur jour, les religions cherchent à instiller chez les individus et les communautés le sens du bon et du juste, associé à une dynamique d’amélioration continue de soi. Elles apportent aussi des mécanismes non violents pour gérer les échecs et les conflits.

Une autre dimension importante de la tradition religieuse et des acteurs religieux est quelque chose qui s’apparente à une voix prophétique, qui empêche ou dénonce les abus commis par les détenteurs du pouvoir. Par ailleurs, la capacité à promouvoir l’action collective à des fins pacifiques est très développée chez les acteurs religieux. De même, la capacité à collaborer de manière constructive avec d’autres organisations de la société civile, en particulier avec des organisations et des défenseurs des droits humains, est un facteur de réussite (ou de limitation en son absence) dont l’importance va croissant.

Il va sans dire que ces principes doivent être effectivement appliqués par les leaders et les groupes religieux si l’on veut qu’ils contribuent significativement à la paix.

Pensez-vous que les organisations confessionnelles soient spécifiquement avantagées ou désavantagées lorsqu’elles travaillent à la construction de la paix ?

Mon expérience me fait dire que les organisations confessionnelles bénéficient de plusieurs avantages. Elles sont ancrées dans des communautés, bien adaptées culturellement, et en outre, elles ont des réseaux régionaux, et parfois même transnationaux, qui facilitent les relations interculturelles et internationales. De plus, ces organisations disposent d’espaces de réflexion organisés et de leaders bien formés et respectés. Enfin, la paix et la non-violence sont au cœur de leur vision et de leur mission. Toutes ces caractéristiques font que les organisations confessionnelles sont des acteurs potentiellement légitimes et efficaces. Bien entendu, le revers de la médaille est que certains groupes religieux peuvent être fondamentalistes, sectaires ou soumis au pouvoir – ou le devenir.

La religion peut aussi être porteuse de divisions. Pensez-vous qu’il soit problématique, pour une organisation confessionnelle, d’intervenir dans un contexte où la religion est facteur de conflit ?

La plupart des religions du monde condamnent le fait d’agresser et d’infliger volontairement des souffrances à quelqu’un. Si la religion devient une source ou un facteur de conflit violent, cela veut dire que quelque chose s’est mal passé à un moment ou à un autre. Évidemment, il suffit de regarder autour de soi, dans le présent ou le passé, pour constater que bien des choses ont mal tourné. La division n’est que la conséquence logique de tout ça. Dans ce type de contexte, et notamment quand une organisation confessionnelle n’est pas perçue comme neutre, ou quand elle est vue comme un facteur de conflit, alors son implication dans la construction de la paix peut être compromise. Cela dit, si l’organisation arrive à modifier cette perception et à montrer qu’elle souhaite et qu’elle est capable de transformer le conflit, de bâtir des ponts pour le dialogue, ou de diminuer la souffrance induite par le conflit, alors son intervention peut quand même être acceptée. Dans ce genre de cas, une analyse approfondie de la sensibilité au conflit s’impose.

Vous avez fait des études de développement international, mais aussi de théologie. Dans quelle mesure votre formation religieuse influence-t-elle votre travail dans le domaine de la construction de la paix ?

Mes études de théologie m’ont indubitablement aidé à mieux comprendre la manière dont la religion et les acteurs religieux peuvent contribuer à la paix ou aux confits violents, et m’ont aussi fait connaître les idées, l’histoire et les contextes sous-jacents. Elles m’ont aussi familiarisé avec le langage et la culture des acteurs religieux. Ces connaissances me sont extrêmement utiles dans mon travail quotidien, qui m’amène à dialoguer avec des leaders et des groupes confessionnels. Elles m’aident à identifier le potentiel de la foi et de la religion comme forces de paix, mais aussi les risques qui peuvent compromettre ce potentiel.

Mais ce qui m’inspire et me sert encore plus que ma formation théologique, c’est ce que j’ai constaté chez des gens vivant dans des situations de guerre civile, ou d’après-conflit, en Angola, en Guinée-Bissau, au Mozambique et ailleurs : la foi et la religion restent fondamentales dans leur vie quotidienne, dans l’espoir de connaître un avenir meilleur, plus pacifique.

L’an passé, vous avez suivi le programme de troisième cycle « Transformation des conflits et rôle de la religion » proposé par swisspeace. Quelle était votre motivation pour investir dans une formation faisant la jonction entre ces deux thématiques ?

Oui, j’ai participé à ce cours dans le cadre du CAS in Civilian Peacebuilding que je souhaite obtenir. L’une de mes motivations principales était de mieux connaître et de mieux comprendre la théorie et la pratique de la religion, des conflits et de la construction de la paix, notamment dans des contextes qui me sont moins familiers. Mon objectif était d’améliorer l’usage que je peux faire des stratégies et des outils de construction de la paix dans mon travail de consultant. De plus, ce cours est l’occasion de partager, d’apprendre et de réseauter avec des universitaires et des praticiens qui travaillent dans un domaine dont l’importance augmente dans un grand nombre de conflits sociaux.

Qu’avez-vous appris de nouveau ? Qu’est-ce qui s’inscrivait dans le prolongement de votre savoir-faire et vos expériences antérieures ?

J’avais déjà quelques connaissances sur le conflit en Irlande du Nord, qui était l’une des études de cas proposées, mais c’était très intéressant d’analyser plus en détail le rôle historique de la religion dans la construction des idéologies, les relations entre la théologie et la politique, et la religion comme marqueur ethnique. Nous avons aussi beaucoup réfléchi à la difficulté que des acteurs religieux ont pour trouver une solution de paix lorsqu’ils sont en eux-mêmes une part importante du problème, et au rôle que peuvent jouer les leaders religieux en marge dans ce type de contextes. Il y a eu aussi quelques analyses utiles de l’intervention des églises dans les processus de traitement du passé, par exemple le besoin de reconnaître la complexité du sens et des mécanismes d’oubli et de réconciliation pour les différents individus impliqués.

À votre avis, dans quelle mesure ce cours vous aidera-t-il dans votre travail ?

Ce cours m’a permis de réfléchir autrement au travail auquel je participe actuellement en d’autres endroits, comme consultant. Sur le plan méthodologique, je me souviendrai aussi de l’utilisation de la méthode ACCP pour concevoir des processus de médiation appliqués à ce type de conflits.