Angela Ullmann

Des études récentes de l’Université d’Uppsala en Suède montrent que depuis 1975, les conflits armés dans lesquels la religion façonne la vision et les prétentions des parties sur certains aspects du conflit n’ont cessé d’augmenter. Pour Angela Ullmann, Senior Program Officer au Center for Security Studies (CSS) de l’EPF de Zurich, se pose donc la question de savoir si les méthodes traditionnelles de transformation du conflit et de promotion de la paix sont moins efficaces pour résoudre les conflits où la religion joue un rôle que les autres formes de conflit armé. Formée en médiation, Angela Ullmann travaille sur différents projets du programme « Culture and Religion in Mediation » (CARIM), une initiative commune du DFAE et du CSS, et dispose d’une longue expérience dans la formation continue des diplomates et médiateurs ou médiatrices aux conflits à dimension religieuse. Elle coorganise le cours annuel « Religion and Mediation » de l’ETH Zurich et a participé à la formation continue « Religion et conflit » de swisspeace.

Selon Angela Ullmann, il convient de prendre certains éléments en compte pour gérer les conflits à dimension religieuse. « Il est rarement utile de débattre des convictions religieuses ou séculières les plus profondes, car tout compromis peut rapidement remettre en cause les valeurs mêmes des parties. Mais il est possible de trouver des solutions conjointes permettant une cohabitation pacifique là où ces valeurs s’appliquent dans la pratique », explique-t-elle. La Suisse joue ici un rôle pionnier : dès 2004, dans le cadre de son engagement en faveur de la paix, elle a défini le thème « Religion et conflit » comme un axe prioritaire. Pour Angela Ullmann, l’engagement suisse prend racine dans la culture politique du pays, marquée par ses propres expériences en matière de gestion des conflits religieux : « Au lieu de s’engager dans des confrontations idéologiques et des débats de valeurs entre catholiques et protestants après la guerre du Sonderbund, la Suisse s’est concentrée sur les aspects pratiques de la cohabitation à l’échelle locale. » La structure fédérale du pays et le principe de subsidiarité ont également contribué à institutionnaliser la recherche de solutions locales et individuelles. « La recherche pragmatique du consensus, sans délaisser de partie prenante, fait partie de la culture politique suisse. De par son histoire, la Suisse a compris qu’il ne pouvait y avoir de solutions standardisées pour résoudre les conflits touchant à la cohabitation religieuse. »

La résultante de cette culture politique est une approche qui renonce à tout jugement concernant la vision religieuse et fait intervenir l’ensemble des acteurs concernés. Par ailleurs, il est important de ne pas sous-estimer ni surestimer le rôle de la religion. L’approche suisse vise à établir le dialogue entre les parties au niveau de la cohabitation pratique. Des études de cas en Thaïlande, Afrique du Nord et au Moyen-Orient montrent que cette méthode peut se révéler fructueuse. Il ne faut toutefois pas sous-estimer les défis posés par les conflits à caractère religieux : « Une approche neutre du point de vue religieux ne signifie pas que les artisans de la paix sont indifférents aux valeurs des parties au conflit, mais simplement que les différentes convictions, religieuses ou séculières, ne sont pas jugées et sont respectées en tant que composantes de leur monde. Cela nécessite un certain effort de réflexion sur soi-même. »

Pour être en mesure de relever ces défis, il est essentiel que les intervenants sur le terrain soient formés puis bénéficient de formations continues. « La religion est une réalité quotidienne pour la grande majorité de la population mondiale. Si les diplomates veulent parcourir ce monde, ils doivent avoir une compréhension générale des questions religieuses », estime Angela Ullmann. Et même s’il reste des progrès à faire dans ce domaine, Angela Ullmann est confiante. Elle est certaine que la Suisse est sur la bonne voie en ce qui concerne la formation des acteurs de terrain. De façon générale, l’experte appelle à garder l’esprit ouvert : « Il n’est pas nécessaire d’être soi-même croyant pour savoir aborder les questions religieuses. Nous avons tous certaines convictions, qu’elles soient d’origine religieuse, séculière, humaniste ou autre. Être curieux et accepter que des personnes puissent avoir une autre façon de voir et d’appréhender le monde, que l’on comprenne ou non cette vision, aide déjà beaucoup. »