Une Nuer et une Dinka s’engageant ensemble pour la paix, Soudan du Sud. Photo : Mission 21

En matière de promotion de la paix, les religions sont-elles une malédiction, en ce qu’elles peuvent alimenter les conflits, ou plutôt une bénédiction, en ce qu’elles révèlent des artisans de paix grâce à une éthique promouvant la vie et la paix ? Les organisations à caractère religieux actives dans la coopération internationale ne sont pas très bien vues d’une bonne partie de la population suisse, notamment en raison des images véhiculées par les médias. Les extrémistes musulmans ou les cas d’abus au sein de l’Église catholique y sont bien plus présents que le potentiel de transformation de la société porté par les religions, par exemple. Par ailleurs, le modèle de croissance de la politique de développement est depuis longtemps marqué par une orientation économique et technique, occultant les aspects religieux et culturels.

Certains facteurs religieux peuvent bien sûr contribuer à envenimer les conflits, à apporter leur soutien à des structures oppressives ou à exclure des personnes de religion différente, et donc à empêcher la promotion de la paix. En même temps, valeurs éthiques et vision d’une « bonne vie en paix » jouent un rôle décisif dans toutes les religions. Elles offrent ainsi un réel contrepoids aux tendances actuelles que sont la consommation, l’égoïsme ou la croissance à tout prix, elles font de la coexistence pacifique une préoccupation centrale et elles constituent une force structurante au niveau de la société. Les acteurs religieux s’engagent souvent en faveur des exclus, de l’environnement et d’un changement politique et économique. Dans de nombreux pays, les représentantes et représentants religieux jouissent d’une grande confiance auprès de la population et jouent un rôle de médiation en cas de conflit. Ils dénoncent les injustices, appellent à la non-violence et créent des liens entre les gens, quels que soient leur groupe ethnique ou religieux ou leur couche sociale.

L’ambivalence face à la religion

Plus de 80 % des personnes dans le monde s’identifient à une religion, ce qui a un impact sur la vie communautaire dans de nombreuses sociétés. Et ce rôle est ambivalent car les religions offrent des opportunités et comportent des risques. C’est précisément parce qu’il n’est pas facile de faire face à ces ambivalences que le facteur religieux risque d’être ignoré ou trop peu analysé. Entre 2002 à 2009, la DDC a mené un premier travail de réflexion et de recherche sur la religion et la spiritualité dans la coopération au développement et sous la direction d’Anne-Marie Holenstein ; ce travail a certes débouché sur plusieurs études de cas et publications, mais il a ensuite été interrompu. Néanmoins, ces derniers temps, la question du rôle de la religion dans la promotion de la paix et dans la politique en la matière a été soulevée de façon récurrente, comme à la Division Sécurité humaine DSH avec en parallèle l’organisation d’une formation continue avec le Centre pour les études sur la sécurité de l’EPFZ ou de nouvelles formations chez swisspeace. En Allemagne, le ministère de la coopération économique et du développement (Bundesministerium für wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung BMZ) et l’agence de coopération internationale (Gesellschaft für internationale Zusammenarbeit GIZ) se sont penchés sur les questions de religion et de développement en vue de la collaboration avec les communautés religieuses prévue dans le Programme 2030.

Potentiels et risques

Dans la promotion de la paix justement, il est logique de considérer la religion comme une force potentiellement pacificatrice. Les communautés religieuses peuvent encourager leurs membres à partager une vie en paix et à se réconcilier. Leurs responsables jouent naturellement un rôle central. Ils sont en mesure de promouvoir des stratégies de paix inhérentes aux religions et de transmettre des valeurs religieuses encourageant la non-violence. Les sociétés religieuses sont en outre très bien connectées et présentes autant pour les personnes vivant dans des régions reculées que sur la scène internationale. Elles unissent divers milieux sociaux et cultures sous un même toit.

Le rôle souvent significatif des communautés religieuses leur confère également puissance et influence. L’exercice du pouvoir est ambivalent car il peut être exercé à bon ou à mauvais escient. Lorsqu’un groupement religieux revendique ses propres convictions comme l’unique et absolue vérité, la paix est en danger. Peuvent s’ensuivre l’intolérance, la stigmatisation, la discrimination des « autres » et la violence. L’instrumentalisation de la religion par une instance extérieure représente aussi un danger, par exemple lorsque des différences ethniques et religieuses sont sciemment exploitées pour servir des intérêts politiques et que les communautés concernées sont montées les unes contre les autres. C’est pourquoi les religions jouent souvent un rôle lors de conflits, peuvent y être associées ou l’amplifier. Toutefois, contrairement à une opinion largement répandue, la recherche en promotion de la paix et en résolution des conflits montre que les religions ne sont pratiquement jamais l’unique cause d’un conflit. Les conflits sont notoirement très complexes, avec plusieurs niveaux. Ils surviennent souvent en raison de luttes de pouvoir politiques et économiques, entraînant la discrimination de certains groupes de population, et, lorsque cela s’y prête, l’instrumentalisation de l’appartenance religieuse.

Enseignements issus de la pratique

L’ambivalence étant inhérente aux religions, il faut être prudent sur la question et tenir compte d’analyses minutieuses des conflits et de leurs acteurs incluant les facteurs religieux et culturels. En collaboration avec la Communauté de coopération de Pain pour le prochain, Mission 21 a poursuivi l’élaboration du manuel 3 Steps Manual for Working in Fragile and Conflict-Affected Situations développé par le KOFF/swisspeace. Si nous sommes conscients des opportunités et des risques que présentent les organisations et facteurs religieux, nous pouvons améliorer l’efficacité de nos programmes.

La capacité qu’ont les Églises de promouvoir la paix, tels le Conseil des Églises du Soudan du Sud (SSCC) et la Presbyterian Church of South Sudan PCOSS, est souvent incontestable. Dans une guerre civile aux enjeux politiques dans laquelle les ethnies sont instrumentalisées et montées les unes contre les autres, l’Église est l’une des dernières institutions à bénéficier de la confiance de la population, car elle jette des ponts entre les différents groupes ethniques et aide au quotidien la population en détresse. Un personnel qualifié fait cependant souvent défaut, c’est pourquoi les mesures de développement des capacités mises en place sur le long terme sont aussi capitales pour le succès de la promotion de la paix. Les partenaires étrangers doivent donc également faire preuve de beaucoup de patience. La confiance née de relations établies sur plusieurs décennies constitue une base essentielle pour le travail de coopération.

Réfléchir est également important : afin de soutenir les processus de paix, personne ne devrait être offensé ou exclu desdits processus en raison de traditions ou d’opinions religieuses différentes. Il est aussi fondamental de tenir compte de sa propre identité religieuse : ce n’est que lorsque je sais ce en quoi je crois (ou non), et pourquoi, que je peux dialoguer d’égal à égal avec des personnes ayant d’autres croyances.

Nous vivons dans un monde pluriel. Les diversités religieuses, culturelles et ethniques ne sont cependant pas perçues seulement comme un enrichissement, mais aussi parfois comme une menace. La compréhension interreligieuse et interethnique, les alliances en faveur de la paix tout comme l’amélioration du niveau de vie peuvent désamorcer les conflits. Comme l’expérience de Mission 21 au Soudan du Sud ou en Indonésie le montre, nous pouvons encourager sur le terrain, au sein des communautés, des initiatives interethniques et interreligieuses invitant à la confiance, en particulier à travers le soutien aux jeunes et aux femmes, et en parallèle, stimuler les processus de dialogue et de médiation par l’intermédiaire de responsables religieux, aux niveaux national et international.

Les concepts de pardon et de réconciliation, profondément ancrés dans les religions (pas uniquement le christianisme), ouvrent également des voies vers la paix. Lancé par des partenaires de Mission 21, le premier village de paix interreligieux de Gurku au Nigéria est un exemple d’espoir.