Les développements politiques, juridiques, économiques et sociaux au Honduras entravent chaque jour davantage le travail des organisations de la société civile. À l’initiative de Peace Watch Switzerland (PWS) et de l’Entraide Protestante Suisse (EPER) et avec le soutien de cinq autres ONG suisses et de la Direction du développement et de la coopération (DDC), le KOFF a lancé un processus d’apprentissage commun afin d’élaborer une analyse participative et différenciée de la société civile hondurienne et de sa marge de manœuvre, et de développer des stratégies  communes de protection et d’élargissement de cette marge. Ce processus, qui dépasse le cadre de la mise en œuvre de programme et encourage les approches et synergies novatrices, est d’une importance cruciale au regard des défis à relever.

Accès à l’information, libre expression, participation aux processus politiques, liberté de réunion, protestation pacifique : les espaces d’action de la société civile sont des conditions indispensables  à une politique de développement et de paix efficace et durable. Cependant, de nombreuses études montrent que cette marge de manœuvre n’a cessé de se réduire à travers le monde au cours des dernières années. Depuis le printemps arabe, qui a mis en lumière le potentiel de l’action citoyenne, les gouvernements ont été toujours plus nombreux à édicter des lois visant à museler les courants de critique de l’État. Sous couvert de guerre contre le terrorisme, les populations sont privées de leurs droits fondamentaux démocratiques, alors même que leur rôle clé dans la coopération internationale ne cesse d’être mis en avant. Mais la législation n’est qu’une partie du problème. Les organisations de la société civile (OSC), surtout celles actives dans la défense des droits humains, sont victimes de stigmatisations et de diffamations publiques systématiques, et subissent des menaces et des violences pouvant aller jusqu’au meurtre.

À l’initiative de PWS et de l’EPER et avec le soutien de cinq autres ONG suisses et de la DDC au Honduras, le KOFF a lancé dans ce pays au printemps dernier un processus d’apprentissage commun. Découlant d’une méthode conçue par l’Alliance ACT, cette démarche locale vise à élaborer une analyse participative et différenciée de la société civile hondurienne et de sa marge de manœuvre, et à développer des stratégies communes de protection et d’agrandissement de cette marge. À cette fin, deux ateliers, des entretiens individuels, des groupes de discussion et un questionnaire électronique ont permis de recueillir les expériences d’un maximum d’OSC.

Très vite, les relevés empiriques ont laissé transparaître l’ampleur des défis à relever : les collectifs de paysans ont rapporté des violences brutales subies dans le cadre de conflits fonciers avec le gouvernement et des entreprises ; les journalistes ont évoqué des restrictions légales à l’accès à l’information publique ; les groupes de femmes ont déclaré avoir l’interdiction de soutenir publiquement les victimes de violences domestiques et les organisations de défense des droits humains ont critiqué l’absence totale de protection des personnes menacées en raison de la corruption des fonctionnaires et d’un taux d’impunité d’environ 96 %. La majorité des personnes interrogées ne voient aucune possibilité de faire valoir leurs droits ou leurs aspirations et dénoncent un « État armé », qui agit dans l’intérêt des élites nationales et transnationales et prépare le terrain pour un modèle de développement néolibéral. Dans ce contexte, les droits sociaux et garanties de l’État de droit sont souvent perçus comme des obstacles à la maximisation du profit et peu à peu abolis. Le phénomène culmine dans les « régions spéciales de développement » où la constitution hondurienne n’est plus appliquée. Ces tendances se sont intensifiées depuis le coup d’État de 2009 et alimentent une violence criminelle massive et quotidienne qui menace gravement la sécurité. Ainsi, le nombre de meurtres a presque doublé depuis 2008, et le Honduras présente depuis 2012 le taux d’homicides volontaires le plus élevé du monde.

Les organisations locales ne semblent pas en mesure d’enrayer ces évolutions. Certes, elles résistent aux pressions, mais elles ne font bien souvent que réagir aux événements, se focalisant sur la défense de droits sectoriels, leur propre survie ou la protection de leurs membres. Cela a pour conséquence d’affaiblir encore davantage une société civile déjà fortement fragmentée. En outre, la coopération internationale fait l’objet de critiques de fond, alors même qu’elle est source de dépendance et de concurrence en matière de financement, ce qui engendre des situations paradoxales où les OSC sont vite estampillées comme étant soit trop proches du gouvernement, soit trop à gauche. Le dialogue objectif, propice à la confiance et à la compréhension, est quasiment inexistant, interdisant toute possibilité d’élaboration d’une vision stratégique commune à long terme.

Le processus d’apprentissage commun intervient à ce niveau. Le potentiel qu’il recèle est considérable, mais les défis à relever le sont aussi. Ainsi, l’analyse commune crée un espace d’échange et de compréhension mutuelle, mais nécessite aussi une confiance qui ne peut s’établir que dans ces espaces. En raison de la méfiance des personnes sollicitées et des craintes exprimées en matière de sécurité, l’enquête électronique a enregistré un très faible taux de réponse. Les données complètes n’ont pu être relevées qu’après des prises de contact individuelles par des interlocuteurs de confiance et des rencontres répétées, elles-mêmes rendues possible par les relations de longue date entretenues sur place par les ONG suisses. Il existe un autre cercle vicieux : les stratégies communes profitent certes des synergies et du savoir des différents acteurs, mais elles sont vouées à l’inefficacité tant que la société civile doit faire faire à des menaces existentielles
que ces stratégies visent précisément à combattre. Un exemple tragique est celui de l’assassinat de Berta Cáceres, dont l’organisation COPINH milite pour l’accès à la terre et les droits de la population autochtone. Les circonstances de ce crime sont emblématiques de la situation : l’assassinat malgré les mesures de protection de la Commission Interaméricaine des droits de l’homme, les spéculations des médias sur le mobile du crime, et le traitement inhumain infligé à Gustavo Castro Soto, témoin du drame, par les autorités. Au regard de l’ampleur de ces défis, un processus d’apprentissage commun qui dépasse le cadre de la mise en oeuvre de programme et encourage les approches et synergies novatrices est d’une importance cruciale : d’abord pour servir de fondement à la planification des organisations engagées, ensuite pour ouvrir la voie à un lobbying politique en faveur d’une promotion de la paix et d’un développement sensible aux conflits, et enfin pour contribuer de manière positive au processus de transformation à long terme vers plus de paix et de justice au Honduras.